Belladone

88 17 0
                                    

Belladone : absence de bruit, silence

Et striaient les violons sur les plis de son cœur. Sur le silence, étouffant, qui lui écarquillait les yeux, le silence de sa voix, le vacarme de ses actes passés qui lui résonnaient continu dans les côtes. Et chefs d’orchestre de ce tapage ces violons qui lui striaient le cœur. Un instant, Salieri ferma les paupières, ce bruit qui le tabassait il valait mieux y céder, la douleur, lancinante, la laisser l’avaler tout entier, c’était plus simple, bien plus simple, étrangement plus éprouvable.

Un concert de Mozart, il ne pouvait plus les supporter ; avalé par son fauteuil, par le dos de Mozart, en face, et les mouvements de ses mains à diriger l’orchestre Salieri pensait, je ne peux pas le supporter. La musique, sublime, qui lui tordait les boyaux, plus coupante encore que l’âcre des pires gnoles dans lesquelles il avait pu se noyer. Et partout dans son crâne, sa propre voix, froide, tranquille, qui lui susurrait

cette musique, cette carrière, tu les a détruites.

Et les larmes de Mozart en violons, les larmes qu’il n’avait pas vues, qui l’avaient hanté.   

il s’en est remis, ça n’y change rien.

Et que diable foutait-il dans ce concert, que diable foutait-il ici à avoir mal, à souffrir le risque des fleurs exposées, ces fleurs illégales, ces fleurs pour un homme, ça les dégoûtait, c’était dégueulasse, qu’est-ce qu’il foutait là ?

La musique, sublime, qui lui tordait les boyaux.

Ses mains, sublimes, qui lui avaient tordu les entrailles.

Qui l’avaient étranglé quand il n’avait pas voulu y croire, serré horribles caressantes jusqu’à ce mince filet de voix, cette réplique sortie comme un souffle, un étouffement,

répandez des rumeurs dans les salons,
ses mains qui le dirigeaient, à l'instant sur l’orchestre

semez la zizanie dans la troupe,
ses yeux à lui, qui s’affamaient de son dos

corrompez-les s’il le faut,
sa voix de l’époque, calme, une suffocation qui

avait voulu détruire Mozart sublime

Mozart, sublime, qui

lui avait viscéré l’estomac,

sa main à lui qu’il

avait plaquée sur ses yeux, serrée sur son cœur, ne bouge pas, sa main qui

lui avait planqué les yeux, ne bat pas, pas pour lui, bat de haine, détruis-le

sa main baissée, enfin, sous le premier pétale, horrible, bleu, évident

sa main plus tard, sous les premières fleurs complètes, minuscules, blanches, infâmes des semaines et deux mois désormais, deux mois depuis le premier pétale.

Mozart sublime ses mains sublimes l’orchestre sublime.
Une suffocation.
Une brûlure.
Un peu de sang.
La fleur, violette, en cloche entière dans le creux de sa paume.
Un souffle.
Un regard.
Un contrôle.
Tous regardaient l’orchestre, tous regardaient Mozart.
Le fleur, violette, en cloche entière dans le creux de sa paume.
L’opération, sanglante, en absolu dans le creux de sa tête.

Jardins grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant