APOCALYPSE.

octobre (bleu)

✶ ⋆｡˚𓆟

c'est peut-être une soirée d'automne parce que tout se mélange. le ciel se teint de la couleur des feuilles et les arbres perdent leurs couleurs. c'est peut-être une soirée d'automne, mais c'est pas vraiment sûr, parce que pas grand chose n'a de sens à ce moment là. il y a des gens sur le toit, des jolis garçons, des jolies filles, et d'autres jolies personnes qui ne sont ni des filles ni des garçons. ils se tiennent là-haut comme au bord du monde, des adolescents, de l'alcool dans une main et des cigarettes dans l'autre. il y a le soleil qui se couche et c'est une jolie vue mais personne y prête vraiment attention parce que ce qui est bien plus joli c'est l'insouciance. ça ressemble à une fête et il y a sûrement de la musique mais d'en bas on entend qu'un son vague qui se perd dans le vent. il y a des visages sans nom et des noms chuchotés et des visages qui sont proches. il y a ida et tuva aussi, et leurs visages sont proches, leurs mains mêlées. ça sent la cigarette tellement fort, et elles regardent les anneaux de fumée qui s'envolent dans le soleil couchant. il fait presque nuit maintenant et les gens semblent perdre leur tête.

l'automne est une saison mélancolique, octobre un mois bleu. bleu c'est mélancolique, c'est triste, c'est heureux, c'est la pluie et c'est aussi amoureux. octobre est bleu, février est bleu, janvier est gris et septembre est doré. octobre est un mois bleu pour tout le monde, mais les raisons diffèrent. octobre est un mois bleu amoureux pour ida, parce que c'est en octobre qu'elle est tombée amoureuse.

il fait nuit tôt en octobre, surtout ici, parfois il fait noir à en perdre la tête, parfois à s'en perdre soi-même, mais c'est pas grave, parce qu'avec la lumière de leurs téléphones, ils se voient bien tous les uns et les autres. pour rentrer chez soi ça sera une autre histoire. la lune est absente ce soir, ils aiment croire que sur le toit de cet immeuble ils arrivent à voir les étoiles. peut-être qu'ils les voient, il n'y a pas tant de pollution lumineuse que ça finalement. ici c'est un peu vidé le soir, et tant mieux parce que le commerçant leur criera pas de descendre du toit de son magasin. c'est pas si haut que ça mais c'est haut quand même. pas très loin il y a des arbres, et oh comme ils sont grands ces arbres et c'est beau et le ciel aussi est beau mais c'est toujours pas aussi beau que ce qu'ils croient voir mais ne voient pas. ida a vu beaucoup de belles choses dans sa vie, beaucoup de belles personnes aussi, surtout des filles. surtout sa meilleure amie. ida aime tout ce qui est beau et tout ce qui est vie, ida aime tout ce qui se voit parce qu'il faut chérir tout ce qu'on peut, même les vieux chemins de fers, même les vieux câbles électriques, tout, même ce qui détruit, parce qu'elle pense que ce qui détruit est aussi ce qui rend vivant. enfin elle essaie. ça sent la fumée et le froid, ça sent les arbres et l'hiver qui approche, mais encore un peu l'automne quand même. ça sent la mélancolie et les souvenirs de l'automne dernier, ça sent comme tous les ans, mais en un peu plus vieux.

et peu à peu, ils commencent tous à partir, et en peu de temps il y a quasiment plus personne, en peu de temps parce qu'ils étaient pas beaucoup en vrai, une dizaine qui s'en est allée, et leurs esprits d'insouciance aussi. en rentrant il faudra cacher les cigarettes et l'alcool, et espérer que les parents ne soient pas encore rentrés, mais en général c'est pas trop un problème. tout le monde est parti mais il reste encore tuva, et ida reste parce que tuva n'est pas partie. alors là-haut, en se tenant un peu au bord du monde, il reste deux jolies filles qu'on peut confondre pour des fantômes dans ces nuits fraîches d'automne-presque-hiver.

il est vingt-deux heures passées et la fumée de la cigarette se mélange à la buée et il fait encore plus froid et les joues sont rouges et la peau frissonne et les corps se rapprochent tout ce qu'ils peuvent pour récupérer le peu de chaleur humaine dont ils profiteront, en écharpes et manteaux épais, en octobre, octobre bleu, octobre amoureux, c'est une scène si jolie, et beaucoup ne pourront pas la comprendre. en octobre, automne mélancolique, plus de vingt-deux heures sur le toit d'un commerce et avec tuva, le temps pourrait s'arrêter pour ida. le temps devrait s'arrêter, mais il ne s'arrête pas. il ne s'arrête pas, et les lumières ne s'éteignent pas, et on voit les étoiles et presque plus de fumée. et ida ne sait plus à qui appartient le pull rouge ou l'écharpe bleue, et allongée, sa meilleure amie prend sa main, et la tire encore plus proche, jusqu'à ce que leurs respirations se cognent, et ida pense qu'elle a vu de jolis films mais qu'aucun n'a eu d'aussi jolies scènes comme celles-ci. tuva lui demande quelque chose, et elle répond oui, et l'instant d'après elle embrasse sa meilleure amie.

c'est un peu bizarre mais c'est aussi joli, très joli, et il y a tant de couleurs, tellement de couleurs, et il fait si froid mais si chaud et il y a toujours plus de couleurs toujours plus de sentiments toujours plus de chaleur toujours plus d'émotions toujours plus de tout. et quand elles se séparent le monde tourne à l'envers, les bâtiments se retournent et le ciel sous leurs pieds et il n'y a rien d'autre et c'est un désordre sans nom et ida se dit qu'octobre est un joli mois pour tomber amoureuse. il y a tuva, tout près d'elle, tuva et ses cheveux clairs, tuva sa meilleure amie, celle que sa mère adore depuis ses quatre ans, tuva, tuva, que tuva, juste elle, juste ici. il n'y a pas d'oiseaux, pas de papillons et il fait froid et noir mais ida se dit qu'elle n'a jamais eu été si heureuse. leurs mains se trouvent, leurs lèvres aussi à nouveau et le monde se remet dans le bon sens.

il est minuit passé quand elles s'en vont enfin. elles sont restées longtemps et ida pense que c'est tant mieux parce que s'en aller vite aurait été comme arrêter le film au milieu de la plus jolie scène. la nuit a passé un tout petit peu, et tuva accompagne ida chez elle et elle finit par y rester la nuit. depuis la fenêtre, dans la chambre en haut, elles regardent la nuit comme elles ont regardé les étoiles un peu plus tôt. leurs doigts sont encore enlacés, c'est une drôle de sensation, mais une sensation à laquelle elles pourrait s'habituer. dehors il fait froid, ici il fait si doux, et tout ce qui passe dans leurs esprits n'est que la douceur de chaque instant.

ida espère que ça durera longtemps, longtemps, très longtemps. tuva aussi.

c'est bientôt l'hiver, l'automne se fait de plus en plus froid, un peu trop mélancolique, c'est un drôle de mois octobre bleu, et les idioties des adolescents, octobre amoureux et les amours de deux jolies, très jolies filles. un drôle de mois, oui, mais une si jolie couleur.