Chapitre 5

201 15 0
                                    

Je décidais d'allumer une cigarette, bercée par le léger vent d'été et le son désormais lointain des voix de la fête. Au loin, leurs conversations ne faisaient plus qu'une, et se perdaient entre les clinquements des coupes de champagnes et les rires épars.  

 - « Tu ne dois pas souvent fumer...», entendais-je d'une voix grave derrière moi. 

Je frissonnais, et malgré le ton chaleureux de la voix, hésitais quelques longues secondes à me retourner. Quelqu'un m'aurait suivi ? 

- « Tu veux que je te montre ? J'en ai moi aussi. »

Je passais alors lentement les yeux au dessus de mon épaule, prenant soin de ne pas dévoiler entièrement mon regard. Il se mit à rire d'un seul éclat. 

- « Excuse moi. Je t'ai fait peur ? Je suis désolé, sincèrement. Je t'ai vu essayer d'allumer ta cigarette plusieurs fois et ça m'a amusé. Je m'appelle Nicholas. Enchanté. »

Devant mon silence, il fit quelques pas en avant pour me tendre sa main, que je serrais avec méfiance avant de reculer à nouveau. 

- « Zoé.

- Bon, et bien je vois que tu as réussi finalement. Quel ennui que cette soirée, n'est-ce pas ? 

- Ne m'en parle pas ! 

- Tu veux que je te confie quelque chose sur les organisateurs ? 

Il m'inspirait peu à peu confiance, et je me plaçais dos à l'un des énormes platanes qui nous entouraient, prête à accepter sa compagnie pour quelques minutes. Après tout, quel mal y avait-il à discuter avec un garçon de mon âge ? Je m'ennuyais ferme depuis le début de la soirée, et personne ne semblait encore décidé à quitter les lieux. 

- Oui, dis toujours. 

- Ce sont mes parents !, me chuchota-t-il à l'oreille avant de partir dans un nouveau fou rire. 

Ne sachant comment réagir, je riais à mon tour. 

- Désolée, hasardais-je entre deux sourires. 

- Peu importe. Parle-moi de toi. Comment se fait-il que je ne t'ai jamais croisée dans les environs ? 

- Je ne suis pas d'ici. Mon père tient le golf de St George's Hill à Weybridge. 

- Et bien un partout dans ce cas, je déteste le golf ! »

Nous avions à nouveau ri, de concert. 

Nos cigarettes éteintes, nous avions ensuite longé le lac qui bordait le vineyard, immense. Nicholas me racontait qu'enfant, il y amenait ses petits cousins pour les perdre entre les vignes, et qu'il s'amusait ensuite à semer des raisins jusqu'aux platanes d'où nous étions venus pour qu'ils retrouvent leur chemin. Celui qui arrivait en premier avait alors le droit de prendre la voiture de golf pour faire un tour du lac, qu'il était le seul à pouvoir conduire. Ils entamaient alors une course avec les perdants qui devaient les rejoindre en courant, et ils finissaient par se jeter tout habillés dans l'eau.

Plus loin, nous avons découvert des hamacs, sur lesquels nous nous sommes allongés en parlant de la poésie en vers que nous détestions, et des romans de Faulkner que nous avions tous les deux découverts à la bibliothèque à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, des Beatles, puis des costumes ridicules des headboys de nos écoles. 

Alors que nous nous mimes d'accord pour fumer une dernière cigarette, je m'aperçus soudain qu'il était près d'une heure du matin. Je jetais alors un coup d'oeil à mon portable, soulagée aussitôt de n'y voir apparaître aucun signe de vie de mes parents. 

- « T'en fais pas. Tu vois peut-être mes parents comme des gens ennuyeux, mais ils savent organiser des fêtes. Ici, personne ne part jamais avant quatre heures du matin. D'ailleurs, retournons-y, c'est maintenant que les choses sérieuses commencent. »

Il m'avait pris la main pour me faire descendre du hamac, et je fus subitement frappée par sa beauté. Je me souviens avoir été bouleversée par les traits délicats de son visage, et je remarquais entre les reflets du lac et le bruit des quelques grillons échoués entre les longues herbes son regard perçant, à peine masqué par ses longues mèches brunes. À ce moment là, il sourit simplement, d'un sourire qui résonne encore dans toutes les cathédrales du comté.

La seconde suivante, il s'enfonçait déjà à travers les vignes pour rejoindre les autres. 



Perfect ZoéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant