Ad vitam æternam

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Aita était encore dans cette salle étrange, les murs recouverts de sang. Une fine suie blanche retombait sur ses épaules. Des morceaux de cadavres étaient éparpillés, les muscles se détachant des os. Le sang coulait des murs et s'étalait sur ce sol froid. Une lumière verdâtre embrassait cette macabre scène. Aita se dirigea vers la porte qui était grande ouverte. Il jeta un dernier regard à cette scène, l'air stoïque. Sur l'étagère, des bocaux remplis de cristaux rouges. Aita s'échappa alors de cet endroit macabre et emprunta un long couloir sombre qui semblait mener nul part.

Soudainement, sa vue devint de plus en plus trouble, sa tête de plus en plus lourde. Les murs se montraient dédoublés et un acouphène assourdissant envahissait ses oreilles.

Aita se réveilla. Il était persuadé qu'il devait avancer puis il leva son bras. Celui-ci était impossible à bouger. Il semblait ne plus exister. Pourtant, Aita sentait très bien que son bras était engourdi. Il ferma alors ses yeux. Des larmes chaudes coulaient sur son visage froid. Il se sentait misérable de vouloir retrouver ces personnes. Ou peut être que ce n'était pas eux qu'il cherchait : les pensées du jeune garçon s'entremêlaient. Il se sentait courageux et couard, il se sentait invincible et vulnérable, il se sentait mort et vivant.

Ces draps blancs qui réchauffaient son corps se teintèrent en un rouge vif hypnotisant. Ce jeune visage aux traits fatigués et usés pâlit de plus en plus. Aita ressentait une gêne au niveau de sa poitrine. Sa respiration devenait de plus en plus pénible au fur et à mesure que les secondes trottinaient en rond dans cette horloge accrochée non loin d'une affiche de propagande. « L'État et le Conseil soigne le peuple. Vous êtes le futur de l'Humanité ». Ces mots torturaient l'esprit d'Aita, qui, dans les affres de la morts, ne pensait plus qu'à ces mots : « l'État et le Conseil ». Aita semblait aux portes de la Mort. Il eu encore cette sensation d'impuissance et d'imminence : la Faucheuse entourait de ses longs et frêles doigts squelettiques et froids le visage encore chaud d'Aita.

Ses yeux semblaient pouvoir examiner tout les détails — aussi insignifiants soit-ils — de cette lugubre salle. Il balayait de droite à gauche cette scène de son regard. Des perfusions usées, des étagères remplies de dossiers, l'emploi du temps des activités proposées aux patients, des affiches de propagande et, perchés sur une grande étagère rouge, enveloppés soigneusement par des bandelettes de cuire et empilés les uns sur les autres : des bocaux contenant des cristaux rhomboïdaux rouges immergés dans un liquide bleu.

Une femme avec une combinaison bactériologique noire entra alors dans la pièce et prononça une phrase. Une simple phrase qui terrorisa le jeune homme. Son cœur battait de plus en plus vite, sa respiration devenait de plus en plus difficile et il suait à grosses gouttes. Une expression de terreur était imprimée sur son visage. Ces mots étaient les mots les plus redoutés par Aita.



Il ne voyait rien d'autre que cette lugubre scène. Ces cadavres gisant sur le sol blanc de cette salle chirurgicale. Ces cadavres en putréfaction dégageant une horrible odeur. La porte avait disparue. Maintenant, il y avait cet immense miroir parfaitement lisse. Il  ne pouvait voir son visage. Ce miroir reflétait son dos. Puis ce reflet se tourna et fit face à Aita. C'était lui, sans être lui.

« Je suis le numéro 400 et toi ? C'est quoi ton numéro ? »




Environ quatre jours plus tard, Aita se réveille. On lui diagnostique une amnésie antérograde. Aucun nouveau souvenir ne peut être retenu par son cerveau pendant plus de 24 heures. Il revit donc toutes les 24 heures, ce mal-être qui lui pâlit le visage. Toutes les 24 heures, il a ce regard fantomatique. Toutes les 24 heures, il se remémore ce jour. « Ils sont morts » ces mots résonnent encore dans sa tête. Comment était-ce possible qu'ils meurent ? Comment allait-il faire pour découvrir la vérité et répondre à ses questions ? Ces questions bouillonnaient dans son esprit confus et fragile. La soif de justice qui a entraîné son envie de vérité semblait sans fin au fur et à mesure des jours et semaines qui passaient. Il se réveillait le jour, avec ce regard cadavérique empli de stupeur et il s'endormait la nuit, le cœur empli de haine et de cette justice qu'il croit vraie. Son côté moral et impassible s'effaçait de jour en jour, laissant penser qu'il n'était plus amnésique mais enfermé, encagé, prisonnier de cette obsession. Une perverse obsession qui le modelait de plus en plus. Les psychiatres divergeaient : amnésie, obsession malsaine, démence... Chaque jour, un nouveau médecin. Perfusions, électrodes, sondes et même une biopsie. Rien ne fonctionne. Son corps est devenu peu à peu un laboratoire. Un laboratoire vivant, qui torturé par ces médecins pleins d'orgueil et de prétention, ignore de nouveau la liberté, le libre arbitre, les sentiments et la mémoire. Un cycle de soif de vengeance et de justice semblant infini. Aita finissait petit à petit à disparaître comme cendres au vent. Il ne pouvait rien contre ce défilé incessant de spécialistes psychiatriques. C'était une foire où les bouffons essayaient en vain de faire rire le roi au quotidien monotone, répétitif et cyclique.
Et puis un jour, un signe de vie surgit alors. Après sept mois de silence, Aita prononça ces mots : « Je les détruirai ». Ces mots furent répétés sans cesse, effrayant ainsi les infirmiers.

Qui veut-il détruire ?

Rapport :
Rédigé le 01/04 à 04h01
Le patient est un hybride de catégorie II classe 2 d'environ une vingtaine d'années et en bonne santé physique. Ses prédispositions aux maladies mentales sont inconnues.
Toutes les tentatives de dialogue pour nouer un lien social ont échouées. Le patient semble avoir perdu tout intérêt à une interaction avec lui.

Il reste silencieux pendant 30 minutes puis il fixe du regard un point dans la pièce.
[ Remarquons qu'il fixe toujours le même point ce qui démontrerai qu'il soit lucide et qu'il possède donc une mémoire à long terme. C'est probablement un nouveau type d'amnésie qui n'a jamais été observé. ]

Le patient semble aussi avoir une forme d'obsession grave : il frappe sans cesse son bras droit et dessine des motifs ésotériques à l'encre rouge. [ Note : il s'est mutilé plusieurs fois à l'aide d'un objet qu'il a taillé. Remarquons que ces traces de mutilations sont exactement les mêmes que ce qu'il se dessine sur le bras droit. ]

Le patient a très probablement vécu un traumatisme similaire ce qui pourrait expliquer ce comportement très « déviant ».

Nous prendrons des précautions de sécurité pour préserver le corps médical et le patient suite aux mots que ce dernier prononça : « Je les détruirai ». Nous devons à tout prix étudier son comportement pour en savoir un peu plus. Nous devons connaître.

« Veni vedi veci »

Red CrystalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant