Chapitre 14

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Je pris mon plateau en cherchant Klara des yeux, sans la trouver. Je remplis donc ce dernier, avec une petite moue triste, d'un petit ramequin de pâté, un bout de pain, une assiette de frites avec un steak haché, ainsi que d'une tarte aux poires vanillées.

J'allais y prendre plaisir.

Je m'avançai vers les tables en cherchant des yeux si quelqu'un que je connaissais avait de la place à sa table, quand mon attention se dirigea sur un jeune homme seul avec de beaux cheveux noirs.

Machinalement, j'allai m'asseoir à sa table, devant lui.

- Yo.

Il leva les yeux d'un air surpris, avant d'afficher une mine rassurée.

- Salut, Cass.

Je commençai à étaler mon pâté alors qu'il terminait sa tarte.

- Je ne te dérange pas, au moins? demandais-je, soudainement anxieuse.

- Non, t'inquiètes. rougit-il.

Une douce chaleur se répandit dans ma poitrine au souvenir des derniers jours. Ses heures de piano m'avaient accompagnée dans ma déprime solitaire, à tel point qu'elles m'avaient presque fait oublier ma misère de temps en temps, tellement il jouait bien. 

- Merci. Merci, d'avoir joué ces derniers jours. lui répondis-je, attendrie.

Il baissa la tête et balaya mon plateau du regard.

- Mais, de rien. dit-il, tout bas.

Je l'observai d'un air curieux avant d'attaquer mon repas à pleines dents.

- Je pars demain. finis-je par dire après un silence.

Il releva brusquement la tête.

- Où ça ?

- Je pars passer Noël en famille.

- Oh... Tu reviens quand ?

- Le soir du 31, je suppose. Mais j'aimerai faire un petit tour à certains endroits avant de retourner m'enfermer entre quatre mur d'un blanc immaculé.

Il sembla réfléchir. Il passa une main dans ses cheveux tandis que son regard noir se perdait dans le vide.

Je contemplais ses yeux en songeant qu'ils étaient devenus bien vivants, quand il reprit la parole.

- Tu sais jouer du piano ?

J'haussai un sourcil, taquine.

- Quoi, tu n'aimes pas la harpe ?

Il s'empourpra.

- Si, si, j'adore, au contraire ! s'exclama t-il alors qu'un grand sourire s'étalait sur mon visage.

- T'emballes pas, c'était une blague. dis-je en riant. Je sais jouer quelques morceaux mais ça doit bien faire plus d'un an que je n'ai pas touché à un piano.

Son visage s'illumina.

- Tu veux venir jouer avec moi après manger ?

- Bien sûr. acquiesçais-je, agréablement surprise.

Ses yeux noirs se mirent à pétiller de joie tandis que le bord de ces derniers se plissaient. Je pensai, alors, que ses fossettes aux coins de sa bouche étaient très mignonnes.

Il mangeait d'une façon posée et tenait ses couverts à la perfection. Les ongles de ses longs doigts étaient bien coupés et entretenus. Ses poignets fins contrastaient avec ses bras musclés dont je pouvais apercevoir la forme sous son t-shirt à manches longues.

Tout ces petits détails dont je ne me préoccupais pas d'habitude apparaissaient, évidents, sous mes yeux. Étonnamment, j'étais heureuse de les avoir remarqués : ça me donnait la sensation que le connaissais, que j'étais plus proche de lui.

Je terminai, finalement, mon repas et nous nous dirigeâmes vers la sortie sur un regard entendu.

L'odeur fraîche de son parfum à la menthe emplit mes poumons alors que je me tenais, debout, près de lui. Je me sentais bien, reposée, tranquille. Cette sensation était merveilleuse, me donnant l'envie de ne pas oublier, de rester, d'exister. Une pointe de tristesse vint, cependant, ternir la beauté du tableau et le ramener à la réalité.

Je secouai brièvement la tête avant de donner mon plateau à une cuisinière qui attendait patiemment. Cette dernière me fit un petit sourire que je lui rendis, sans oublier de la remercier. Je me plus à imaginer sa vie un instant : avait-elle un mari ? Une femme ? Des enfants peut-être? Un petit chien ou un chat ?

Je m'imaginai à sa place, entourée des gens que j'aimais, à râler sur les petites misères de la vie, à donner tout mon amour à ceux qui m'entouraient.

C'est avec ces pensées que je fis le chemin jusqu'à mon étage.

Le regard inquisiteur de Mikaël me força à m'arracher à mes rêveries pour lui ouvrir la porte.

Nous entrâmes dans sa chambre. Celle-ci semblait avoir changé : elle dégageait quelque chose de chaleureux, de familier. L'odeur à la menthe de mon voisin était plus que présente et je n'allais pas me plaindre.

Je restai debout, ne sachant ou me mettre. Mikaël me regarda me dandiner d'un pied sur l'autre, un sourire aux lèvres avant d'avoir pitié de moi et m'indiquer le tabouret de son piano posé à côté de la fenêtre.

Il alla s'installer au piano pendant que je prenais le tabouret pour m'installais à ses côtés.

- J'ai réfléchi à ce que tu m'as dit. dit-il en brisant le silence. Je pense que je devrais trouver un nom pour mon piano.

Une pointe d'étonnement et de joie vint titiller mon cœur, le rendant plus léger, et je souris.

- Tu as déjà une idée?

- Je ne sais pas trop... Je pense que je devrais lui donner un nom avec une signification.

- Prends ton temps, on m'a dit, un jour, qu'on le sait le moment venu.

Il mordilla sa lèvre durant quelques secondes avant de se tourner vers le piano et effleurer les touches du bout des doigts.

Un silence apaisant accompagna son geste et j'eus, soudain, l'envie de toucher ma harpe, de la sentir à mes côtés.

Je me tortillai un instant sur le tabouret matelassé avant de rencontrer les beaux yeux noirs de Mikaël.

- Je commence ? demanda t-il.

J'acquiesçai, enthousiaste.

Il prit une grande inspiration avant de détendre son dos et ses bras. Il semblait comme entré en transe.

Le silence se fit. Pesant, réel, il écrasait le monde de sa présence véritable. Ce silence, si important, si présent, était un tout. Il était une parole, un texte, mais aussi un sentiment, une pensée, une sensation. Tout ce qui était dit et partagé au travers d'un silence était souvent sous-estimé. 

Ceux qui omettaient les silences perdaient le temps de prendre le temps. Ils perdaient cette communion si distinctive qui nous unis corps et âmes sans même nous connaître. Ils perdaient un peu de leur humanité. 

Mikaël avança ses doigts au dessus du piano et commença par jouer 4 fa dièses. Je compris d'instinct ce qu'il allait jouer: "In the Hall of the Mountain King" d'Edvard Grieg. Il l'avait déjà jouée précédemment, dans les derniers jours, et j'avais été étonnée de voir avec quelle dextérité il tenait le tempo. 

Ses doigts, souples, parcouraient tout le piano, allant de plus en plus vite. Il était concentré et son regard suivaient sa main droite, puis sa main gauche avec vivacité.

De temps en temps, il se penchait vers le piano, comme pour mettre plus de poids à ses notes, à ces mots muets qui traversaient son cœur. L'incroyable mélodie produite de ses mains en harmonie avec son piano était d'autant plus magique qu'elle était le produit de cet unité si singulière entre l'homme et son instrument. Le sentiment que son cœur battait au même rythme que le tempo, que la basse résonnait dans sa propre cage thoracique, que les aigus étaient les petits frissons sur sa peau... 

C'était le sentiment d'avoir trouvé sa place. 


Le pianiste de la chambre d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant