Cette salle est si grande. Et si vide.
J'y entre, pour la première fois. J'ai toujours voulu y entrer. J'ai toujours voulu aller au cinéma. Voir un film sur un écran géant. Profiter du son qui m'explose les tympans, qui rend le tout plus vrai. J'ai toujours voulu aller au cinéma.
Mais pas toute seule. Je voulais y aller avec lui.
Prenant une longue inspiration par le nez, je trouve le courage d'avancer et d'entrer dans cette immense salle de projection délabrée, abandonnée depuis des années. Tout est moisi, démoli par des trombes d'eau tombées au travers du plafond. Les dégâts sont tels qu'une grande mare s'est formée au centre de la pièce, remplie de sièges démolis.
Devant la marre, je me penche et aperçois mon reflet. Ma fourrure rose, autrefois si belle et entretenue, est désormais si sale. Mes cheveux, autrefois si bien coiffés, sont maintenant trop longs, en bataille et particulièrement dégoutants. Mes vêtements déchirés et rapiécés me rappellent que le monde que nous connaissions n'est plus. Ce monde où il vivait.
Moi non plus, je ne suis plus. Amy Rose n'est plus. La petite adolescente transit d'amour que j'étais a cessé d'exister. Je ne suis plus qu'une coquille vide. Je me bats encore pour ce en quoi je crois, je protège ceux que je peux protéger, mais ce ne sont que des excuses qui me servent de raisons de survie.
Pas des raisons de vivre. Des raisons de survivre.
Mais alors, qu'est-ce que je fais ici ? Dans ce cinéma ? Amy Rose voulait venir dans ce cinéma. Est-ce que je voulais venir dans ce cinéma ? Si je suis ici, c'est peut-être que je veux moi-même être ici ? Peut-être reste-t-il un peu de cette adolescente à l'esprit si léger en moi ?
Si c'est le cas, malheureusement, tout est fade. Je me relève doucement pour observer la pièce mais rien ne me vient. Je ne ressens pas l'excitation que j'espérais. Machinalement, je me dirige vers un siège pour m'y assoir. Tout est si poussiéreux, si sale. Mais le siège est doux. Il est confortable.
Ca fait si longtemps que je n'ai pas ressenti ce confort, cette douceur.
Devant moi le gigantesque écran blanc, miraculeusement intact, attend une projection depuis des années. Il est si vide. J'aimerais y voir un film.
A mesure que le temps passe et que je fixe cet écran, une étrange sensation me parcourt. J'ai l'impression qu'il veut me raconter quelque chose. Je me concentre sur son immense toile blanche et... mes souvenirs commencent à s'y dessiner. Mes souvenirs d'adolescence. De pureté. De... D'innocence.
Les larmes me viennent. Incontrôlables.
C'est donc ça être adulte ? Revivre mes souvenirs, mes beaux souvenirs, les plus positifs, dans la souffrance ?
Je tente de retenir mes larmes et ma tristesse mais mon corps commence à se secouer dans la douleur. C'est trop dur. Mes souvenirs sont si beaux. Si parfaits. Ils sont tellement hors de ce monde de souffrances qui m'entoure. De ma vie de résistante. De ma vie d'adulte.
Je le sens. Je fais une crise d'angoisse. Je ne peux plus l'arrêter. Pourquoi est-ce que je suis venue ici ? Qu'est-ce qui m'a pris ? Je commence à glisser de mon siège en continuant de trembler... Mais une main retient mon corps de tomber. Une main solide. Une main... Qui ne tremble pas ?
Une main solide qui m'empêche de tomber. Elle me soutient. Elle ne veut pas que je tombe.
Je l'attrape dans ma détresse et je reconnais la sensation d'un bracelet de poigné. Je reconnais les gants usés de quelqu'un que je connais.
Je reconnais ce hérisson noir qui me permet de tenir. Il me tient.
Sentant que sa présence me calme, je sens mes tremblements stopper lentement mais sûrement... Et je réalise que sa main tremble. Je lève la tête tant bien que mal et découvre qu'à son tour il fixe l'écran blanc, les joues humides.