KERO

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Je me réveille avec une drôle de sensation. L'impression d'être enfermée. Je repousse mes draps et descends dans la cuisine, n'ayant même pas pris la peine de me changer. Je vois ma mère et ma sœur en train de prendre leur petit déjeuné. Elles sont surprises de me voir debout si tôt. Et encore en pyjamas. Mais elles ne me posent aucune question heureusement, car je serais incapable de leur répondre correctement. Je remplie la bouilloire d'eau, et la repose sur son socle. Je déchire l'emballage d'un sachet de thé vert à la menthe que je place dans mon mug. J'attends mon eau chaude sur ma chaise, en repartant dans mes pensées. Pourquoi cette sensation ?? J'essaie de me rassurer en me disant que c'est surement dû à un rêve (dont je ne me souviens plus). Mais plus je tente de m'en convaincre, plus je sens que je me trompe. Je ne peux pas parler de ce genre de choses à ma famille. Ni à mes amis. Personne ici ne veut avoir ces conversations. C'est dangereux d'en parler. Il faut que j'oublie. Ce n'est pas bon de rester concentrer sur ça. Mais ces pensées se glissent comme un serpent dans ma tête.

C'est alors que ma mère me sort de mes débats mentaux. Mon eau est bouillante et m'attend. Je me lève et remplis ma tasse. Je rajoute un peu d'eau froide en prévision de brûlures. Je sirote mon thé tout en observant ma mère et ma sœur. Ma mère s'appelle Imma, elle a 45 ans et travaille en tant qu'adjointe du maire. C'est une grande femme, les cheveux bruns, qu'elle éclaircit avec des mèches décolorées. De fines rides commencent à apparaitre aux coins de ses yeux. Cany, ma petite sœur, a 15 ans. Elle ressemble assez à ma mère, les mèches blondes et les rides en moins. Elle vient tout juste d'entrer au lycée. Mon père est souvent en déplacement, mais prend quand même le temps de venir nous voir. Nous habitons sur la Presque-Île qui nous relit à la terre ferme. Il faut au moins une heure de marche pour y parvenir (il existe une navette pour que l'on puisse aller en ville et au lycée, car nous habitons un village).

Ma mère me presse à finir ma tasse rapidement. Je suis en terminale et je ne dois manquer aucun cours pour assurer ma réussite. Mais je tiens à prendre mon temps, alors je l'écoute à moitié. Nous entendons d'un coup un bruit qui nous fait toutes sursauter. Quelqu'un a frappé à la porte d'entrée. Les coups se font plus insistants. Ma mère réajuste sa robe de chambre et va ouvrir. Je reconnais la voix de la voisine. Elle parait assez agitée. Ce qui me fait me rapprocher pour épier leur conversation. Mais elles viennent de finir. Ma mère revient dans la cuisine le visage assez grave.

« On a plus accès à la terre ferme. Le chemin s'est écroulé car nous n'y sommes plus reliés. »

Panique. Comment allons-nous faire pour aller au lycée avec ma sœur ?? Comment allons-nous faire pour avoir des provisions ?? Nous sommes coupés du monde. Voilà d'où venait la sensation du réveil. L'impression d'être condamné, de ne plus pouvoir fuir. Nous n'avons plus de sortie de secours. On ne peut rien faire. Ma mère nous demande d'aller nous habiller, car nous allons rejoindre le reste des habitants afin de trouver une solution. Je monte les marches quatre à quatre. J'ouvre précipitamment mon armoire et sors un t-shirt noir large et un pantalon de survêtement. J'enfile également une paire de chaussettes et descend l'escalier aussi sec. La toilette attendra. Je saute dans mes chaussures. Je pousse la porte et sors dehors toujours en courant. Je suis suivie de ma sœur, puis de ma mère.

Nous arrivons sur la place du village, où les autres habitants se rassemblent peu à peu, eux aussi secoué par la nouvelle. La Presque-Île est habitée depuis plus de 200 ans et il n'y a jamais d'incidents similaires, et ce, même après de violentes tempêtes. Tout le monde commence à paniquer. Puis le maire demande le calme. Il commence à parler, à expliquer la situation et à essayer de nous rassurer. Il y parvient à moitié, vu ce qu'il nous annonce : la Presque-Île s'est effectivement effondré. Mais ce qui semble bizarre, c'est que nous nous trouvons au milieu de l'océan, on n'arrive pas à apercevoir la côte, ce qui en temps normal est possible. La panique monte. Nous avons un seul bateau pour évacuer tout le monde. Juste de quoi prendre cinq personnes à son bord. Nous sommes environ cent cinquante à habiter ici. Vous me direz, que ce n'est pas trop grave car il suffit de fabriquer un radeau, un truc du genre. Le problème, c'est que ce n'est pas de l'eau ordinaire. C'est de l'acide. Il fait fondre la matière organique très vite. Beaucoup sont morts en s'approchant trop près de cet enfer. Je n'en ai jamais vu de mes propres yeux mais je ne veux même pas essayer. Il paraît que le frère de ma mère est mort comme ça à 12 ans. Il faut donc des matériaux spéciaux que l'on ne trouve que de l'Autre Côté pour pouvoir avoir des bateaux spécialisés. Or nous avons juste un bateau qui peut tout juste accueillir cinq personnes. Gé-ni-al. La panique monte de plus en plus. Le maire devient incapable d'apaiser ses habitants. On crie, on se bouscule, c'est le brouhaha total. Etrangement je sens un certain calme. Au fond de moi je ne panique pas. Je devrais pourtant, dans ce genre de situation. Mais ça ne marche pas. Je préfère au contraire m'éloigner d'un coup. Ils me polluent avec leur panique. Je ne peux pas le faire. Je dois rester. Le maire va ensuite décider des volontaires qui vont devoir partir prévenir l'Autre Côté, la terre ferme. Bien sûr, ce dernier fait partie de l'équipe. Le rejoignent le propriétaire du bateau, qui va le manœuvrer, un météorologue, et les enfants du maire. Ma mère est désignée comme responsable pendant l'absence du maire. Il renvoie les habitants et donne les dernières instructions à ma mère.

La plupart des habitants vont s'enfermer à double tour chez eux. Certains vont regarder le départ de nos cinq désignés. Je descends avec ceux- là la paroi rocheuse. Je m'arrête assez près de l'eau comme pour la narguer. Je relève la tête et effectivement on ne voit plus l'Autre Côté. L'eau fait des va-et-vient. Elle semble très profonde. J'ai envie de plonger, pour voir si je vais fondre. Je n'ai pas le temps d'exaucer mon désir, ma mère et ma sœur me rejoignent. Nous attendons le bateau, qui viendra nous dire au revoir. Dix minutes passent. Soudain, nous entendons un bruit sourd, et puissant. Comme un déplacement de roches. Je m'accroche à un rocher et Cany s'accroche à moi. Une onde de choc s'en suit. L'eau vient alors s'écraser plus haut que d'habitude. Certains remontent, de peur. Heureusement, personne n'est tombé.

Mais le temps se fige. J'aperçois à ce moment-là, une dame, en pantalon bouffant et froissé, qui semble prendre son élan. Je ne la quitte pas des yeux. Tout se déroule très vite. Et pourtant je discerne tous les détails, comme si son plongeon est une séquence ralentie. Elle sourit. Elle touche l'eau. Elle y entre puis disparait. Son pantalon est resté à la surface de l'eau. Mais elle, elle ne remonte pas. Les autres mettent un temps avant de comprendre ce qu'il s'est passé. C'est à ce moment que le bateau arrive. Les autres racontent ce qui vient de se dérouler, juste avant leur arrivée. Ils commencent alors à la chercher. Ma mère veut nous faire remonter, Cany et moi. Cependant, je n'arrive pas à me détacher de l'eau. Elle m'aimante. Elle me hurle, me supplie de la rejoindre comme la femme au pantalon bouffant vient de le faire. Je n'entends plus ma mère et ma sœur me crier de bouger. Je suis calme. Je ne me suis jamais sentie aussi détendue depuis longtemps. Une éternité. Puis tout devient ridicule. Ma vie, les études, ces obligations, ces règles, ma famille. Je les trouve tous d'un coup pathétique. Pourquoi devrais-je suivre ce chemin ?? Pourquoi tout mon intérieur me hurle le contraire de ce que les autres me demandent de faire ?? Pourquoi ?? POURQUOI JE NE PEUX PAS FAIRE CE QU'IL ME PLAIT ??

Je plonge.

L'eau est glaciale. Le choc thermique me déboussole un instant. Je sens les bulles d'air remonter. Celui de mes poumons en même temps. Je n'arrive plus à respirer. Et je m'enfonce dans les profondeurs de la mer. J'étouffe. Puis le monde bleu fait place à la nuit.

Mes côtes se mettent à me brûler soudainement. Je soulève mon t-shirt et je vois apparaitre de longues lignes. La douleur est terrible. Puis elle diminue aussi vite qu'elle est apparue. Et je me mets à respirer normalement. Enfin, pas totalement. Pas avec mon nez. Les lignes se sont ouvertes. Des bulles d'air en ressortent, et remontent elles aussi à la surface. Je n'ai pas fondu, comme les gens du village le racontaient. Les personnes qui s'approchaient de l'eau se noyaient très certainement. Ou comme moi, s'enfuyaient de cet enfer. Je regarde la surface de l'eau qui apporte un peu de lumière dans cet univers bleu foncé. Je me sens bien. Pour rien au monde je ne retournerai là-haut. Je les entends hurler mon nom. Honesty. Je me suis transformée, en un instant. Mon apparence a changé. Mon nom leur appartient encore. Il me relie à eux. Je veux casser ce lien. Je n'ai plus rien à apprendre d'eux. Je vais continuer mon chemin en me le créant. Je ne veux pas qu'on m'indique une voie toute prête. Je ne veux pas d'un chemin tout lisse et vide de sens. Je veux ressentir. Comme j'ai senti le choc thermique de l'eau. Honesty est morte. Elle a cessé d'exister en même temps que Keros est apparue. Je jette un dernier regard vers la surface. En me retournant, j'aperçois la femme au pantalon bouffant. Elle semble m'attendre. Comme si elle savait dès le début que j'allais la suivre. Elle me sourit, un sourire semblable à celui qu'elle a fait quand elle a plongé. Pour m'encourager. Je la rejoins. Puis nous nous enfonçons ensemble dans les profondeurs d'un monde inconnu.





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Voici ma première nouvelle. Je l'ai écrite suite à un rêve que j'ai fais la nuit du 12 au 13 octobre 2020 (oui je mets une date c'est inutile mais osef). Et ce n'est qu'une partie. A mon réveil, j'ai voulus l'analyser puis j'ai eu envie d'écrire cette nouvelle. Mais on y retrouve l'eau "empoissonée", la femme qui plonge dedans, et ma soeur qui s'accroche à moi. Je n'ai pas sauté comme Kero malheureusement. Sortir de la zone de connu et vivre. Je me sens au bord de cette limite, prête à explorer ce monde sombre. Je ne sais pas trop ce qui me retiens pour le moment, mais je dois attendre avant de sauter comme Kero l'a fait. Je ne veux pas écouter ce que mes parents me disent, je ne veux pas entrer dans ce système qui s'effrite, car il arrive à sa fin. Je prends une autre direction, peut-être un peu en avance sur mon temps. Ma transformation se fait un peu lentement (j'aimerais bien que ça s'accélère quand même parce que c'est pas drôle)... J'espère que vous avez aimé cette première nouvelle. Je vous retrouve à la prochaine ^^

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⏰ Last updated: Oct 13, 2020 ⏰

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Recueil de nouvelles - GhizemliWhere stories live. Discover now