Je me souviens qu'elle m'a tout expliqué. Sur son passé. Elle a toujours voulu travailler avec les chevaux mais les seuls métiers accessibles pour une femme étaient infirmière ou bien maîtresse d'école. Alors elle a pris la décision de poursuivre son rêve malgré les risques. Elle a quitté sa famille dès sa majorité, elle a décidé de devenir un homme et de se faire embaucher comme écuyer. Je me souviens de l'admiration que j'ai éprouvé pour elle, une femme qui avait mis sa vie en danger pour faire ce qu'elle aime malgré le regard de la société. J'aurai aimé être aussi courageuse.
Je me souviens, hier soir. Je suis rentrée après avoir passé la journée en compagnie de mon amour. Mme Wilgram était en train de m'attendre sur les marches du perron, en pleurs. Dès l'instant où elle m'a vu, elle a bondi sur ses pieds et s'est précipitée sur moi. « Oh mon dieu Melba ! Il faut que tu t'en ailles maintenant, que tu partes loin, immédiatement ! ». Je me souviens de ma confusion à cet instant. « Comment ? Pourquoi ? Je ne comprends pas ! », « Melba ma douce, ils savent. Ils savent pour toi et l'écuyère. Il faut que tu t'enfuies ! Je t'en supplie Melba, vas-t-en ! ». « Comment ?! Comment savent-ils ? », « Monsieur Murphy vous a vues alors il s'est empressé d'aller voir monsieur Lane. ».
Je suis restée paralysée. Mon monde s'est écroulé... Et puis j'ai couru. J'ai couru jusqu'à trébucher. Je suis tombée. Je me suis relevée. J'ai recommencé à courir. Je suis entrée en trombe dans le box et ai effrayé le cheval. J'ai attrapé son bras avec violence et lui ai ordonnée de me suivre. Je me souviens avoir vu dans son regard qu'elle avait compris. Elle a couru avec moi jusqu'ici. La plaine.
Je me suis arrêtée. J'ai contemplé le paysage avec elle. La vue était époustouflante. De là où on était on pouvait voire toute la lande avec les prés, les moutons, les villages et leurs églises. Je me suis tournée vers elle. Elle était magnifique avec les reflets du soleil doré sur ses cheveux. Ses yeux bleus couleur du ciel brillaient comme un million de diamants réunis. Elle a tourné son visage vers le mien. Elle m'a souri. Je lui ai répondu par un baiser. Un baiser de désespoir, un de ceux que tu donnes quand tu sais que c'est la dernière fois. Je me souviens m'être retournée cueillir les baies. Celles dont je lui avais parlé : « Vous voyez ces baies-là ? Elles sont mortelles. Une bouchée et vous fermerez les yeux à jamais. ». Elle avait ri. Elle riait beaucoup. Elle me disait : « Rire de tout inspire une mort apaisée. ». Une mort apaisée. Ma mort est apaisée. Je suis avec elle. Mes derniers efforts me poussent à rechercher sa main. Enfin je la trouve. Dans un dernier élan d'amour j'entrelace nos doigts et les sert avec toute ma volonté. Je sens une légère pression.
Plus je lutte, plus mes paupières se font lourdes. Je voudrais la voir une dernière fois, mais cela m'est impossible. Alors mes yeux se ferment doucement et dans l'obscurité de ma mort je perçois les doux contours de son visage, l'éclat de ses lèvres, ses cheveux voltigeant. A côté de moi, je la sens partir et je m'autorise enfin à lâcher prise.
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Nell et Melba
Short StoryHistoire d'amour tragique à l'époque victorienne. Une fille de marquis tombe amoureuse du mystérieux jeune homme qui travaille dans les écuries de son manoir, avant de découvrir la vérité ... et de succomber à son destin tragique.