Chapitre 1 : La Guerre du feu
Pour une avant-veille de rentrée scolaire, Cécile était zen. Elle n'avait jamais été aussi prête, cela tenait du miracle. Et pour ma tranquillité, c'était une bénédiction.
Nous avions passé la soirée à regarder un film, lovés l'un contre l'autre sur le canapé. Une soirée des plus banales en somme. Au cours d'une année à la maison, trois cent cinquante d'entre elles se déroulent grosso modo de la même manière. Nous étions allés nous coucher à peu près à la même heure que d'habitude. Cécile avait dû prendre une douche, et je l'avais vraisemblablement rejointe devant le lavabo pour me brosser les dents.
Puis nous nous étions endormis sans trop de difficulté.
C'était l'été, un été où il faisait beau, une saison qui n'existe que rarement dans le Massif central ; façon de dire que nous laissions la fenêtre de la chambre entrebâillée pendant la nuit.
Voilà pourquoi je fus réveillé à deux heures du matin par une odeur inhabituelle et par des cris venant de la rue, non moins rares dans mon petit village à cette heure avancée.
Je me suis donc levé pour voir de quoi il retournait. Le tumulte ne semblait pas provenir de la place sur laquelle donne la chambre, aussi je me suis dirigé - « au radar » dois-je le préciser ? - jusqu'au bureau, qui ouvre sur la venelle perpendiculaire. J'ai déverrouillé la fenêtre puis les volets, je me suis légèrement penché, et j'ai aperçu, jaillissant d'une ouverture de la maison mitoyenne à la mienne, des flammes de trois mètres de haut. J'ai immédiatement compris que la situation était grave, mais je me suis heureusement abstenu de paniquer. J'ai refermé tranquillement la fenêtre et je suis retourné dans la chambre. Sur le pas de la porte, j'ai entendu Cécile bouger dans le lit. Je lui ai dit :
- Il y a le feu à côté, on sort.
Comme ça, sans point d'exclamation. Cécile a également gardé son calme et n'a pas posé de questions.
C'est en descendant l'escalier qu'elle a de toute manière compris que cela chauffait, au propre comme au figuré. Le mur mitoyen était inhabituellement tiède et une fumée âcre envahissait déjà le rez-de-chaussée. Cécile a pris son sac à main et moi j'ai embarqué la cage de Stylo, la souris blanche et grise que d'anciens élèves avaient offerte à mon instit de femme. Puis nous sommes sortis.
***
Avec le recul, je me suis demandé si la réaction, les réflexes que j'ai eus cette nuit-là étaient révélateurs de quelque chose.
À partir du moment où j'ai pris conscience de la gravité des événements, je n'ai eu qu'une idée en tête : soustraire les deux autres êtres vivants de la maison au danger - avec une priorité pour ma chère et tendre épouse. À aucun moment je n'ai songé à emporter quoi que ce soit de matériel. Cela ne m'a pas traversé l'esprit une seule seconde. Je n'ai réalisé que beaucoup plus tard que j'aurais peut-être bien fait de prendre mon baise-en-ville avec mes papiers. Mon ordinateur, pourtant mon outil de travail, figure en dernière place des choses que j'aurais sauvées. Tous mes fichiers, personnels et professionnels, sont sauvegardés en ligne, parfois sur plusieurs serveurs simultanément. Cette nuit-là, lorsque j'ai pensé au boulot, je me suis dit qu'il me suffirait d'aller racheter un Mac (votre assurance vous alloue rapidement une somme pour parer au plus pressé), de tout retélécharger, et je serais prêt à continuer le job, dès le lendemain si nécessaire. De l'importance des backups déportés pour la tranquillité d'esprit.
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La Maison qui pleurait
Non-Fiction« La Maison qui pleurait » est un récit autobiographique sur l’incendie qui a frappé ma maison en août 2013 et les deux années qui s’ensuivirent. C’est une manière d’exorciser le traumatisme et un prétexte à m’interroger sur certains sujets qui me t...