Chapitre 2 - Eliott

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— Ça va encore chier...

La voix de Yohann résonna depuis la portière de la voiture. La nuit était tombée depuis longtemps déjà. Il était tard. Le tournage était enfin terminé. Devant l'auberge, l'allée de graviers crissa sous les chaussures d'Eliott qui se retourna brusquement aux mots de son agent.

Encore ? siffla-t-il. Pourquoi ça nous incomberait, cette fois ? Sérieux, ces gamins ne sont même pas foutus de se tenir tranquilles deux secondes et c'est nous qui prenons ?

— Il y avait un script !

— Et à la base, j'étais bien le seul à le respecter, au cas où tu aurais raté un truc !

Yohann claqua la portière à son tour. Le bip du verrouillage résonna dans la nuit. Le bruit de ses pas suivit rapidement, et Eliott continua jusqu'à l'entrée de l'auberge sans l'attendre. Sa chambre était à l'étage, quelque part entre celle de Yohann et de la maquilleuse. Être aussi bien entouré ne l'enchantait pas particulièrement, ce soir. Surtout après le soi-disant fiasco du tournage. Les scènes avaient été finalement validées par le réalisateur, après visionnage des différents éléments qu'ils avaient réussis à filmer. Les quelques changements de la trame permettaient toujours de suivre la ligne directrice du client et Eliott savait d'expérience qu'un script finissait par bouger durant le développement, pour de multiples raisons. Ce n'était, par conséquent, pas totalement un échec. Enfin, dans le principe. La réalité était généralement totalement autre dès que ça le concernait lui.

Yohann pouvait être sévère et était particulièrement à cheval sur les consignes. Déroger au scénario faisait partie de ce qu'il abhorrait, comme pour beaucoup d'autres de cette branche du métier. C'était l'un des points sur lesquels il pouvait être en contradiction avec Eliott. Pour son bien, répétait inlassablement son ami lorsqu'ils en discutaient à tête reposée. Tous deux savaient ce qu'il en était au niveau de la direction.

Cependant, c'était également Yohann qui faisait la différence lorsqu'il s'agissait d'obtenir un contrat. C'était lui également qui savait si un rôle était judicieux à accepter ou non. Lui qui appuyait, qui argumentait. Lui, encore, qui faisait ce qu'il fallait pour qu'Eliott gagne ce qui le faisait vivre. Il connaissait l'acteur par cœur, jusqu'à ses moindres défauts, et était capable de repérer à la seconde près quand il allait fauter ou réussir. Eliott avait parfaitement vu le moment où le regard de son agent s'était, même légèrement, assombri : quand il avait fait le premier pas vers la gamine. Ce moment où il s'était dit « oh, et puis merde ».

Yohann supportait ses incartades, comme il en riait parfois gentiment, depuis toutes ces années, mais il était toujours là, malgré tout ce qu'il pouvait lui reprocher à chaque nouveau tournage.

— Tu aurais dû laisser faire...

— Non ! Si j'avais laissé faire, justement, on y serait encore ! Bon sang, c'est pas possible ça ! Faire avancer tout ce bordel, c'est aussi mon boulot !

— Et le mien c'est de m'assurer que tu respectes toutes les clauses du client ! Tu es au courant qu'ils sont chiants et à quel point ils sont attachés aux petits détails de merde ! C'est assez difficile comme ça de te trouver des contrats ces temps-ci, tu en es conscient au moins ? Et... on en a déjà parlé, mais tu sais que ça ne va pas en s'améliorant...

Les escaliers lui semblèrent sans fin tandis qu'ils grimpaient les grosses marches. Leurs chaussures martelaient le vieux bois dans un bruit qui attisait leur agacement.

Eliott sursauta quand une main ferme l'agrippa par le bras lorsqu'ils atteignirent le palier, l'obligeant à se retourner.

— Bientôt quarante ans, dit lentement Yohann. Tu n'as pas l'air de saisir que ton temps est compté, dans cette industrie.

A en perdre haleine [Edité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant