Lune Noire

5 0 0
                                    

Le ciel est noir aux reflets orangés, et ce depuis plus d'un siècle maintenant. Je me sens affreusement seul au milieu de ce désert mécanique et hanté. C'est le discret morceau de tissu que je garde fermement en main depuis ces trois dernières heures qui me sert de motivation. Il est à ce jour mon ultime espoir concernant la possible existence d'un autre être vivant parcourant ce labyrinthe de métal. Les Oracles m'avaient pourtant prévenu : frôler les ruines du Stellaris c'est approcher les Limbes. Cela fait trois nuits maintenant que je n'ai pas rechargé ma poche à nutriments, mais c'est simplement aujourd'hui que je commence à comprendre le poids de leurs mots. J'ai été naïf, persuadé qu'à moi tout seul, j'aurais pu trouver ce que des centaines de sondes n'ont pas réussi à dénicher. Approcher les Limbes, je me répète cette phrase en boucle en essayant de peser cette idée pour me rassurer. Et si ça en valait la peine ? De toute manière cette vie, celle que je mène, n'a plus aucun sens désormais. Je suis le dernier représentant d'une espèce ayant bien profité de son âge d'or, bien plus qu'elle ne l'aurait dû. Je n'ai aucune famille, d'ailleurs, je n'en ai jamais eu aucune. Il faut remercier la République Solaire pour ça.

« Attention, batterie du régulateur de température faible. Énergie solaire... introuvable. Thermoscan lancé... Source de chaleur détectée. Source de chaleur située à 7km... direction... Sud-Ouest. »

Une source de chaleur, j'y crois à peine. C'est comme si Dieu m'avait écouté à travers les mâchoires rouillées du Stellaris, m'offrant un espoir supplémentaire. Toutefois, mon thermoscan n'est pas de bonne facture, pour localiser de la chaleur à cette distance, celle-ci devait provenir d'un incendie ou d'une source hautement radioactive. Je n'avais pas d'autre indice de toute manière, je n'hésitai pas longtemps avant de prendre la direction qui clignotait sur mon poignet.

Les ruines du Stellaris étaient le seul lieu accessible depuis la cuve dans laquelle se trouvait Red-01, l'unique passage entre les civilisations intraterrestres et la galaxie. Porte solitaire séparant la mort et les survivants robotiques qui s'en cachent. Pour un être humain, l'idée de vivre sans voir la lumière du jour peut paraître complètement absurde. Mais pour ces peuples, dont le ciel est horrifique même dans les souvenirs des plus anciens, les boyaux de la terre sont symbole de sécurité. Cela fait plus d'un siècle que c'est ainsi. Que ces nuages chargés de foudres noires sont au-dessus de leur tête. Ils ont beau creuser la planète de part en part, il n'existe aucun lieu qui ne soit épargné par l'apocalypse.

Avec un décor pareil, je veux bien comprendre que les Gawmaleks m'aient pris pour un fou, lorsque j'ai annoncé mon départ. Moi aussi je les vois, ces visages démoniaques qui se dessinent au coeur du voile recouvrant les cieux, riants comme si l'enfer avait gagné. Pourtant je n'avais plus d'autres choix, vivre sous terre n'était pas fait pour moi, demeurer dans les galeries de Dirtown était équivalent à sombrer peu à peu dans la dépression ou la démence. Les étoiles me manquent.

La source de chaleur repérée par mon thermoscan se trouve être de plus en plus proche. Il ne me reste plus que trois kilomètres avant d'y arriver. Néanmoins, une angoisse grandit en moi au fur et à mesure que j'avance. La structure semble être gigantesque maintenant. La source de chaleur s'élargit sur mon poignet. De plus, cela fait un moment que je marche, je commence à penser que je serais bientôt de l'autre côté des parois. Que peut-il bien se trouver derrière les ruines du Stellaris ? Dans un espoir naïf, je me demande si des survivants de mon espèce n'auraient pas simplement fui de l'autre côté des montagnes. Je me surprends même à imaginer un monde paradisiaque de l'autre côté de ces murs qui m'ont, pendant longtemps, effrayé. Je ne dois pas me perdre en divagations optimistes, il y a très peu de probabilité que de la vie se trouve de l'autre côté du cimetière de ferraille que je traverse depuis trois semaines déjà. Et s'il y en a une, il y a encore moins de chance que celle-ci soit amicale, ou tout simplement inoffensive.

Des milliers de cadavres ont jonché les sols que je parcours, mais l'on n'en aperçoit plus depuis hier, je suis désormais un explorateur, découvrant des lieux d'un isolement archéologique. Je ne sais plus si les formes des débris et l'immensité des structures qui m'étranglent ont toujours été si illogiques et tourmentées. Ou si c'est la solitude, le manque de sommeil et le silence qui me font voir ces visions répugnantes. Les pierres paraissent moelleuses et le fer a l'apparence profonde. Plus la distance entre moi et mon objectif se réduit, et plus j'ai l'air de plonger dans l'univers déconstruit d'un dieu fou. Ce que je croyais être des poutres tranchées, déchirées ou fendues, se change en une forêt étouffante, pointue et agressive.

Mon thermoscan n'a plus d'utilité, je suis face à ce qui paraît être l'échéance du voyage. Une énorme structure de métal vient mettre fin à ma route, je me retrouve minuscule à l'égard de ce mastodonte me barrant le chemin. Les arbres des alentours semblent fuir la porte devant laquelle je me trouve. Cette sortie magnétique est marquée du logo de Zulum, ce n'est pas n'importe laquelle, je la reconnais. C'est la porte d'entrée principale de la cabine de contrôle. Le mot cabine est mal choisi lorsqu'on connaît l'immensité de la pièce. J'inspire et espère que ma carte d'accès fonctionne encore.

« Accès autorisé »

Tout se déroule parfaitement bien, la barrière froide et opaque se soulève et me donne accès à l'extérieur. Mon cœur bat à une vitesse folle, mon sang devient si chaud que je perds toute notion de fatigue. Désormais je suis face à la mer. Un océan orangé, immense, déchainé et frappé continuellement par cette foudre noire. Je traverse la cabine déchirée pour m'asseoir au bord de ce qu'il en reste. Je contiens mon envie de ressentir le vent à nouveau, par peur de respirer un gaz quelconque qui réduirait mes efforts à néant, me contentant simplement du paysage. Voilà à quoi ressemble le monde maintenant, le royaume de Neptune et de désespoir, un ciel chaotique, et quelques rayons d'une lumière quasiment morte. Le morceau de tissu n'appartenait finalement à aucun être encore en vie, si ce n'est moi désormais.

« Voici donc les limbes, voici donc ce que l'on voit, au bout des ruines du Stellaris. » Pensais-je à voix haute.

Mes mots venaient d'activer une commande vocale des machines se trouvant dans mon dos. Cela faisait un moment que je n'étais plus surpris par le fonctionnement continu de la structure, je me souvenais en outre très bien des systèmes de sécurité impartiaux m'ayant accueilli pendant ma traversée du niveau 616. En me relevant, je pus voir qu'un unique clavier était toujours fonctionnel, je n'avais cependant aucune idée de ce à quoi il servait. Il était parsemé d'une dizaine de boutons, mais un seul était encore rétroéclairé. Je ne savais pas si c'était un signe du destin, une coïncidence ou un chemin tracé par une entité voulant me conduire vers un quelconque objectif. Mais j'ai pressé la touche qui rayonnait sur le tableau de bord. Et dans la seconde qui suivit, tout fut révélé.

Les canons à IMSA du Stellaris étaient encore fonctionnels. Je venais de leur envoyer leur dernier ordre. Dans une détonation assourdissante, un flux d'énergie trancha les cieux et leurs visages horriblement amusés, laissant place à cette vision qui marquera ma rétine même dans l'au-delà. Ce cercle noir, masquant le soleil, ne laissant passer que quelques rayons orangés. Cet orbe gigantesque, fait de ténèbres si profondes que même l'océan semblait se noyer dedans. Je n'en trouvais que la moitié, dépassant de l'horizon. Mais ce n'est pas pour cet orbe que mes genoux furent tirés au sol. Non.

Cet être colossal. Quelle taille fait-il ? À quelle distance était-il vraiment ? De quoi pouvait être composée cette peau ? Je ne pourrais répondre à ces questions. Je ne saurais représenter ce que j'y ai vu, ni même les sensations que j'ai éprouvées. Agenouillé, c'est un fait. Les larmes coulaient sur mes joues, ça aussi. Mais que pouvais-je bien dire face à ça ? Même mes mots m'étaient inconnus.

C'était ça que l'on rencontrait au bout des ruines du Stellaris. Ce n'était ni l'enfer ni les Limbes. Il n'y avait plus aucune vie de l'autre côté de la cuve, même la mort ne s'y imaginait pas.

À la lumière de l'éclipse, ne se trouvait que Lui.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Nov 04, 2020 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

LUNE NOIREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant