La flic et la bergère.

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Petit disclaimer : je suis écolo



« Ils reviennent à chaque fois. » Erika réarme son fusil.

Le levier de sous-garde entraîne la culasse avec elle, la jeune fille glisse une nouvelle balle dans le canon. Dans un cliquetis métallique, le bloc de tir remonte avec le levier. Quand j'avais son âge, quand j'étais une gamine de seize ans, j'étais bien moins mature qu'elle ne l'est aujourd'hui.

« Nous ne sommes pas les bienvenus ici. » Avec une compassion que les ligueurs n'ont pas, elle met en joue la brebis agonisante. « Paix à ton âme. » Je ferme les yeux, le coup me vrille les oreilles.

Pauvre bête, elle ne méritait pas ça. Ni sa propriétaire, un peu perdue, la fermière baisse son arme et la cale sous son bras, figée devant le tableau qui nous fait face, alors que j'hésite à lui dire de rentrer chez elle, que je m'en occuperai avec mes hommes. Devant-nous, ce sont des pâturages ensanglantés, constellées d'animaux morts. Ils ont lâché les chiens sur le troupeau, pendant la nuit, leurs molosses ont fait un carnage. C'est en voyant une autre chèvre rendre son dernier souffle que je n'y tiens plus.

« Passe-moi le fusil Erika. » Sans un mot, elle me tend sa carabine Sharpens. « Ferme les yeux. » J'épaule son arme et presse la détente.

Une autre brebis est libérée de ses souffrances. La bergère baisse le regard, attristée. Un long silence recouvre l'assemblée. Comme d'habitude, j'arrive trop tard et faute de moyens, je n'aurais même pas la politesse de leur laisser un chèque. Chaque semaine, c'est une autre ferme qu'ils attaquent, toujours de la même manière : ils débarquent avec leurs cerbères par nuit noire, ils massacrent le bétail puis repartent après avoir signé leur méfait. Entre deux injures taguées sur les granges, on retrouve des menaces et des injonctions de partir. La peinture est encore fraiche, toujours la même teinte verte pour rappeler d'où ils viennent ; les ligueurs n'ont plus rien d'écolo, si ce n'est peut-être le nom. La Ligue Verte, la milice qui défend la nature en massacrant des troupeaux.

« Rentrons, ça ne sert à rien de s'éterniser outre mesure.

-Mais, lieutenante Armiger, qui va enterrer les bêtes ?

-Mes hommes. » Ce n'est pas à une gamine de creuser des tombes.

Seize ans et déjà confronter au pire de l'humanité, les ligueurs ne reculent plus devant aucune bassesse pour se faire entendre. Cette boucherie gratuite me rend malade, avec Erika, je repars sur le chemin principal, vers l'exploitation agricole. En sens inverse, nous croisons mes soldats, une dizaine d'hommes dirigées par Rensburg, mon second en chef qui a enlevé son béret. Il est du coin, il fait le deuil des bêtes. Dégoutée par le mien, je le retire et le bourre tout au fond de ma poche, là où il ne m'embêtera pas. Je fais le deuil de mon honneur.

« Et ne m'appelle pas lieutenante, les civils n'ont pas à se plier aux grades. » La fermière me regarde avec ses grands yeux bleus, pétrie d'une admiration qui me met mal à l'aise.

« Pourtant, vous méritez ce respect. » Non, si je faisais mon travail et que je protégeais les fermiers, j'en serais digne. Or, ce n'est pas le cas.

Quand bien-même nous ne sommes que douze pour une communauté entière de fermiers, pour des hectares et des hectares de cultures, de kilomètres de pâturages, il doit y avoir un moyen. La police militaire est débordée et les effectifs sont à bout, pourtant, je me borne à chercher une solution en vain : nous n'allons pas abandonner les nôtres sous prétexte de quelques dissidents, n'est-ce pas ?

Je secoue la tête, incrédule.

« Dites, je pourrais voir votre béret s'il vous plaît ? L'insigne, » me demande Erika. Derechef, je le lui tends, « il est magnifique, » celui de la police militaire. Noir à larges bords, avec la broche de mon unité : une torche barrée de deux clefs. L'ironie en est presque vexante : l'unité qui a les pouvoirs d'enquête et d'interpellation est incapable de trouver et d'arrêter les coupables de ces exactions. « Je croyais que les soldats devaient toujours avoir un couvre-chef en extérieur.

Désordre et disharmonie [OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant