Esteban ne s'était pas trompé. Ils étaient en train de regarder la fin d'un troisième épisode lorsque la sonnette les fit sursauter tous les deux. Quelques instants plus tard, Esther apparut dans leur salon les yeux sombres et les traits tirés.
- Sérieusement ? grogna-t-elle en les voyant encore affalés sur le canapé.
Elle leur lança un regard mauvais en s'asseyant dans le fauteuil en face d'eux, les jambes croisées, le visage fermé signifiant « Pas la peine de me parler, j'ai passé une journée de merde ». Au même moment, Esteban bondit sur ses pieds et marmonna dans sa barbe quelque chose que Théo crut comprendre comme « Déjà 19h ? Il faut que j'aille me changer, je suis horrible comme ça ! ».
Il sauta en dehors du canapé, comme un diable hors de sa boite, renversant au passage Rimbaud qui dormait sur ses jambes. Le pauvre chat lança un regard mauvais à la silhouette qui venait de disparaître. Théo tourna la tête vers Esther qui lui offrit un haussement de sourcils apathique et un vague signe ironique de la main :
- Il faudrait surtout pas que Nathaël le voit comme ça, informa Esther d'un ton ennuyé.
Théo haussa les épaules. Depuis le temps, il connaissait bien Esteban, mais parfois celui-ci restait un mystère à ses yeux. Il n'était jamais là où on l'attendait. Comme un objet qu'on avait perdu, mais qu'on ne savait pas où chercher. Cela faisait maintenant quelques semaines que Théo avait noté un changement dans la manière qu'avait Esteban de se comporter face à Nathaël. Depuis leur première année de licence, ces deux là s'étaient toujours bien entendus, comme de vieux amis qui s'étaient retrouvés après quelques années. À tel point qu'ils ne se gênaient jamais pour passer du temps juste tous les deux quand l'occasion se présentait. Au début, Théo s'était senti un peu vexé. Puis finalement, il préférait largement être mis de côté de temps en temps, plutôt qu'avoir deux de ses meilleurs amis qui ne se supportent pas.
Mais depuis quelque temps, Esteban était juste... bizarre. Du moins, plus que d'habitude. Et étrangement, c'était toujours quand Nathaël se trouvait dans les parages.
Depuis qu'il le connaissait, Esteban avait toujours été quelqu'un d'excentrique. Il parlait fort, rigolait fort et on pouvait toujours compter sur lui pour épater la galerie. Pour lui, le calme était toujours synonyme d'ennui. Mais depuis quelques semaines, il se transformait en un étrange mur de silence dès que Nathaël se trouvait à proximité. Théo avait pu observer un Esteban tout à fait différent : silencieux, le visage fermé et les traits tirés, comme s'il passait indubitablement un mauvais moment. À part quand il avait bu. C'est là que l'enfer commençait pour Esther et Théo. C'était comme si l'alcool donnait pour mission au brun de tout mettre en œuvre pour attirer l'attention de Nathaël. Et tous les moyens étaient bons. Chanter du Céline Dion. Faire de la Pôle Dance autour d'un poteau de signalisation. Se battre si quelqu'un les avait mal regardés.
Oh, bien sûr, Nathaël n'avait rien remarqué de ce changement de comportement. Il avait la tête tellement enfoncée dans les nuages que ce type de détail ne l'effleurait même pas. Il continuait à agir avec le brun comme si tout était normal, ce qui rendait la situation d'autant plus navrante.
Au départ, Théo n'y avait pas réellement prêté attention, mais c'était devenu flagrant comme le nez au milieu du visage depuis le mois de septembre environ. À tel point, qu'Esther aussi avait remarqué ce changement d'attitude. Ils ne s'étaient pas étendus sur la question, mais ils n'étaient pas bêtes. Ils savaient tous les deux très bien ce que signifiait ce comportement chez le brun. À plusieurs reprises, Théo avait tenté d'amorcer le sujet avec Esteban, mais celui-ci était passé maître en l'art d'éviter les conversations qui le mettait mal à l'aise. Au final, il avait abandonné car il n'était pas adepte de longs combats contre les moulins à vent.
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Les Fleurs de l'Apocalypse
RandomThéo aimait se répéter que la vie était douce à Angers. Il appréciait son quotidien rythmé par ses études et les moments passés avec ses amis. Souvent, il leur disait que quelque chose lui échappait. Qu'il avait le sentiment que le bon temps lui fil...