Patoche est furieux ! En effet, il vient d'apprendre que la modification de sa petite berlinette qu'il veut rendre, selon ses dires, "sportive" a pris du retard. Il décide de se rendre au plus vite chez le garagiste grâce à la voiture familiale, une Golf grise diesel, vitres teintées, rabaissées et jante dix-neuf pouces. On entend ses pneus crisser dans tout le patelin, la sensation de vitesse que lui procure la conduite le rend euphorique. "J'adhère plus au bitume qu'un bigorneau aux rochers !", c'est la phrase fétiche de Patoche. Il conduit, heureux. Mais plus il conduit, plus il se sent mal à l'aise. Il est pris de vertiges et décide de s'arrêter un instant sur une place de parking. Il comprend vite ce qui ne va pas : il a oublié de prendre sa "petite binouze" quotidienne ! Il se met donc rapidement en route vers son bar préféré : le Petit Marseillais. Du haut de son mètre soixante-quatre et de ses cent-dix kilos, il pousse la lourde porte va-et-vient de l'entrée du bar et rentre. La salle, d'ordinaire animée par un joyeux brouhaha cacophonique, est silencieuse. Tous les regards sont rivés vers l'inégalable, le légendaire, le divin ventre à bière de Patoche. Il s'approche du ventilateur, seul rafraîchissement non-alcoolisé du bar, retire sa casquette Ricard et recoiffe sa coupe mulet en faisant onduler ses cheveux face à la brise artificielle. Après quelque temps, il décide de s'asseoir au comptoir et commande une seize soixante-quatre aux fruits rouges, sa bière du samedi, accompagnée d'une entrecôte saignante, comme toujours. Cette habitude qu'il a de systématiquement prendre une entrecôte avec sa bière lui vaut, auprès de ses amis, son surnom : Patoche la bidoche. Il commence à manger et renverse malencontreusement quelques gouttes du jus qui se dégage de sa barbaque sur sa chemise hawaïenne préférée, déboutonnée non pas par choix mais par contrainte au niveau de son imposante bedaine. Contrarié, Patoche, sans terminer son repas, demande à un des serveurs de mettre celui-ci sur son ardoise et quitte le bar en vitesse pour rentrer chez lui nettoyer sa chemise avant que la tâche ne puisse plus partir. Patoche entre dans sa voiture et roule en direction de sa maison. En regardant l'heure sur sa montre, Patoche réalise qu'il n'a pas le temps de rentrer chez lui puis de retourner au garage ! Il est là. Dans sa voiture. Il tourne autour d'un carrefour à sens giratoire depuis au moins vingt minutes, essayant de trouver la solution au choix cornélien auquel il est confronté : sa voiture ou sa chemise. Après un long temps de réflexion, Patoche décide finalement d'aller chercher sa voiture, "Que vaut une chemise face à l'amour d'une vie ?". Il arrive enfin devant le garage, avant l'heure habituelle de fermeture, mais pourtant, de grands rideaux métalliques l'empêchent d'accéder à son désir. Il se rapproche de l'un d'eux pour déchiffrer le texte écrit sur une pancarte clouée à celui-ci : "Le garage est fermé pendant les week-ends" ! Dépité, Patoche rentre donc chez lui, sans sa voiture, le ventre vide et avec une tâche qui ne partira jamais de sa belle chemise. Dure journée pour Patoche !