Badel

"Pity party."

       Cette soirée-là sur la rive tout paraissait différent. Les vagues plus violentes, les nuages plus menaçants, la nuit plus sombre et la lune encore moins éclatante. Jamais elle n'aurait pensé se sentir aussi loin de tout qu'à l'instant présent, surtout à cette heure de la nuit qui avait toujours été son moment favoris, comme si tout lui hurlait qu'elle n'avait plus à être là.

Ca faisait quelques mois qu'elle venait s'asseoir sur le même rocher, parfois avec ses écouteurs et parfois sans rien pour la distraire du silence. Elle s'y asseyait et réfléchissait pendant des heures sans pour autant réussir à trouver des réponses aux questions qui tourbillonnaient dans sa tête. Plus elle pensait à tout ce qu'elle avait pour la rendre heureuse, plus ses émotions semblaient s'enfoncer sans aucune raison. Mais cette nuit elle était lasse de s'asseoir toujours sur le même rocher, de se poser toujours les mêmes questions sans réponses et surtout de toujours s'apitoyer sur son sort. Alors elle prit la décision la plus impulsive qu'elle est jamais faite. Elle rentra chez elle et rassembla ses affaires avant de s'en aller sans un mot à ses parents.

Dans le bus de nuit avec seulement un sac et les habits sur son dos, elle regardait par la vitre les lumières défiler avec l'impression d'avoir le cerveau complètement engourdi. Elle commença alors à remettre en question ce qu'elle était entrain de faire, et regarda tout autour d'elle comme si observer frénétiquement le bus vide pouvait lui donner une réponse précise ou juste la rassurer un minimum sur le tournant que venait de prendre sa vie. Elle finit par croiser les yeux du conducteur à travers le rétroviseur et qui semblaient ne pas l'avoir quitté depuis un moment, elle sentit une bouffée de colère l'envahir et lui envoya son regard le plus noir. Lorsqu'il détourna enfin la tête, elle retourna aux lumières à travers la vitre et serra les dents, la colère ne l'ayant absolument pas quitté, elle repensa à tout ce qu'elle laissait derrière elle, ou plutôt à tout ce qu'elle n'avait aucun remord à se débarrasser.

Depuis quelque temps sa vie se résumait à se lever, aller en cours et dormir. Elle ne prenait plus le temps de faire ce qui la passionnait, écrire l'ennuyait et peindre la lassait de la même manière. Pourtant ce n'était pas comme si elle n'avait pas de temps, sa grande maison était organisée par les employés de ses parents donc ni lessive, ni ménage à faire, ses cours étaient suffisamment simples pour les approfondir rapidement à la bibliothèque et passer du temps avec des amis était inconcevable puisqu'elle ne s'était pas donnée la peine de s'en faire. En voyant son comportement, ses parents s'inquiétaient mais ça n'était jamais long avant qu'ils commencent à s'énerver en lui reprochant tout ce qui allait mal dans sa vie d'étudiante. Sa vie avait toujours été plate, elle avait l'habitude puisqu'elle n'a jamais rien connu d'autre, mais pourquoi n'était-ce que maintenant qu'elle ressentait ce vide dans sa poitrine? Pourquoi d'un coup avait-elle besoin de plus et que rester sans rien faire lui donnait l'impression d'étouffer?

Elle secoua la tête en soupirant, repenser à ça l'avait de nouveau déprimé, et puis ce n'est pas comme si elle allait trouver les réponses maintenant après y avoir réfléchi pendant des mois. Sur cette note elle ferma les yeux en serrant son sac contre sa poitrine et s'endormit en attendant d'arriver le plus loin où le bus puisse l'emmener.