Un vent de liberté

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     Je suis là depuis si longtemps... bien trop longtemps. Qui pourrait dire même depuis quand je suis là, depuis quand nous sommes là ? Parqués comme des bêtes, dans nos cages, attendant bien sagement que l'on vienne nous nourrir. Mon petit bout de pain moisi ne durera pas très longtemps encore, mais mon esprit est embrumé par la faim. Je ne peux pas faire autrement, si je le sors, ne serait-ce que pour en avaler une miette, ils se jetteront sur moi. Chaque jour, j'attends que la nuit tombe, que le sommeil prenne le pas sur la faim, qu'ils sombrent sans savoir le trésor qui se cache sur moi. Et lorsque je suis sûr qu'ils n'en sauront rien, je coupe délicatement un petit bout de ce pain qui me maintient en vie.

     Les semaines passent ainsi, les journées défilent depuis si longtemps que le mur derrière ne suffit plus à graver le passage du temps. Il continue pourtant à défiler, nous faisant oublier totalement les raisons pour lesquelles nous nous battions. Parfois, les gardes passent et nous jettent de nouveaux morceaux de pain moisis par le temps. Les pauvres fous s'élancent corps et âmes, engloutissant tout ce qu'ils peuvent, mais ils sont loin ces fous, privés de leur esprit depuis si longtemps. Je ne veux pas finir comme ça, je ne veux pas me perdre moi-même. Le flot constant de sensations que je m'inflige pour me maintenir en alerte fonctionne de moins en moins. Depuis quand suis-je là ? Qu'ai-je fait de si grave pour me retrouver là ? Et eux, qu'ont-ils fait ? Qui sont-ils, ces égarés qui partagent ma cage ? Sont-ils ceux de mes récits ? Ceux que je voulais protéger ? Sont-ils comme moi ? Épris d'un sens de justice qu'on essaie d'étouffer ? Me poser des questions me permet de demeurer éveillé, mais je ne sais pas pour combien de temps encore. Un autre jour passe. Une nuit s'enchaîne. Inexorablement. Il ne reste que ce cercle cyclique sans fin. Ce bruit strident qui résonne dans ma tête, je ne sais pas d'où il vient, comment l'empêcher de s'insinuer plus profondément dans mon esprit. La petite fente dans le mur laisse échapper quelques rayons de soleil. Tandis que nous sommes là, attendant une mort certaine, par la hache, la corde ou la faim, le soleil continue de se lever, de se coucher, d'exister. Comment ose-t-il faire comme si nous n'existions pas ? Comment ose-t-il se rire de nous, lui qui est libre de se mouvoir si haut dans le ciel ? Comment ? Pourquoi ? Qu'avons-nous donc fait de si grave ? Ne sommes-nous plus humain ? Je veux sentir le vent dans mes cheveux, sentir le picotement du soleil sur ma peau, sentir la pluie frôler mon visage. Je ne veux plus de ce froid, de cette faim, de ce silence et de ce bruit. Je veux sortir. Je veux être libre. Serai-je libre lorsqu'ils m'ôteront la vie ? Vais-je mourir ? Vais-je vivre ? Serai-je toujours moi ? Que vais-je devenir ? Depuis quand JE SUIS LÀ ? Quoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?? POURQUOI ? Je ne peux plus. Je ne veux plus. J'ai vécu trop longtemps ici. Je ne peux plus. Je veux être libéré de cette cage de fer. Je veux être libéré de cette cage de chair. Si ces chaînes me retiennent, je les arracherai. Si ces barreaux me retiennent, je les détruirai. Si ces gardes me retiennent, je les tuerai. Et je mettrai fin à tout ça. Je mettrai fin à mon monde. Je dois me lever. Lève-toi ! Je dois me réveiller. Réveille-toi ! Je dois tout arrêter. Arrête...

      Le silence est rompu. J'entends des bruits que je ne devrais pas entendre. Des canons, des fusils, des gens qui hurlent au dehors. Pourquoi ? Quelque chose qui ne devrait pas avoir lieu se passe. Mon esprit se réveille, je le sens. La faim est présente mais mon esprit est plus alerte qu'il ne l'a jamais été. Je m'extirpe rapidement de mes songes, les bruits que j'entendais dehors commencent à se rapprocher. Je hurle aussi fort que je peux « SORTEZ-NOUS DE LÀ ». Mais personne ne vient. Il faut que je sorte, qu'on sorte. Le bâtiment commence à trembler, et des coups sonnent non loin de nous. On doit sortir de là, c'est impératif, c'est notre seule chance. Il faut réveiller ces esprits embrumés, ces esprits malades. Ils ne bougent pas, ne paniquent pas, ne réagissent pas, mais pourtant, je dois faire quelque chose. Comment les faire bouger ? Comment leur donner envie de... Du pain. Il leur faut du pain. Je dois me rapprocher des barreaux le plus possible, dans un coin. Je n'ai qu'une seule chance, qu'un morceau. « Un peu de pain ça vous dit ? ». Je vois immédiatement leur visage se tourner vers moi, ils ont cette avidité dans le regard, cette faim inévitable. Ni une ni deux, mon morceau de pain vole à travers les barreaux, et comme des chiens enragés ils se jettent tous sur la grille qui les sépare de leur vie. Si nombreux, si fort de leur faim. Les barreaux semblent se rompre sous le poids de tous ces corps qui se jettent violemment dessus. Un peu plus... encore un peu plus. Juste un peu plus. Les canons tonnent encore, plus fort. Sont-ils là pour nous aider ? Sont-ce là des ennemis qui cherchent à détruire notre pays ? Pour le moment, cela n'a aucune importance car la cage cède. Nous voilà libérés. « Bien joué mes amis. Sortons au dehors maintenant. Vous aurez autant de pain que vous le souhaitez ! ». Je ne suis pas certain qu'ils aient réellement compris mes propos, mais les voilà en pleine course. Je les suis aussi rapidement que mon corps me le permet, l'adrénaline monte en moi. Je me sens capable de pousser les murs de cette prison géante.

      Au loin, dans les couloirs, les fers se croisent, le bruit que cela provoque ne laisse pas place au doute. Des gens se battent. Je ne veux pas mourir. Pas maintenant. Je ne peux pas mourir, pas si près de la sortie. « SORTEZ DE LÀ ! » On entend les assaillants hurler. Ils sont là pour nous. Des français, pas des ennemis. Ils sont là pour nous. Je m'élance aussi vite que possible. Mes jambes manquent plusieurs fois de me lâcher, mais je continue. Même si c'est en rampant, je sortirai de là ! Des corps jonchent le sol de cette froide prison, les murs tremblent plus qu'auparavant.

      Et je cours. Je cours. Ils courent. On court. Je cours. On court. Ils courent. Je cours. Je cours. Stop... Voilà... C'est là. À juste quelques pas de moi. Une lumière blanche, si vive, aveuglante, intense. Elle est là. Ma sortie. Plus que quelques pas. Trois pas. Deux pas. Un pas. Mes yeux se plissent sous la lumière. Je les sens. Je sens le vent dans mes cheveux. Je sens le soleil picoter ma peau. Je le sens. Je le sais. Je suis libre.

Un vent de libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant