Il le tenait entre son pouce et son index. Prenant bien garde à ne pas lendommager. Heureux, il courait dans tout lappartement, imitant les bruits dun avion avec sa petite bouche. Ce n'était quun bout de papier plié, mais ça lui suffisait. Il criait qu'il volerait un jour. Il voulait dépasser les nuages, s'approcher de la lune. Il tourna encore autour de la petite table ronde du salon avant de voir les adolescentes.
-Stella ! Stella ! Regarde ! J'ai un avion !
-Laisse-nous Tim, râla sa sur.
-Ce nest pas grave, Stella, dit son amie, il est mignon.
Timothée navait pas compris ce quelle avait dit, mais elle semblait gentille, alors il sourit.
-Dis-moi, reprit la fille, où est-ce quil va ton avion ?
-Au-dessus des nuages ! répondit-il sans hésitation.
-Ah oui ? Au-dessus des nuages ? Et quest-ce quil va faire si haut ?
-Arrête Clara, ne lui mets pas ce genre d'idées dans la tête. Tim, tu sais très bien que ton avion en papier ne peut pas voler.
Clara lui reprocha immédiatement de lui avoir dit ça. Mais le petit garçon n'avait que faire de leur dispute. Il était persuadé que sa grande sur était simplement ignorante. Timothée grimpa sur une caisse retournée. Il demanda à ce qu'on le regarde avant de procéder au décollage de l'appareil. Il imita la procédure des véritables pilotes qu'il avait écoutée en boucle. Puis, le petit garçon jeta l'avion de papier à travers la chambre de sa sur. Dans sa descente vers le sol, il eut un sursaut avant d'atterrir. Timothée était aux anges - il avait raison, son avion volait ! Stella n'était évidemment pas de son avis et tenta de le raisonner.
-Bien sûr qu'il a volé ! protesta son frère. Il a traversé toute ta chambre ! Peut-être que tu n'as pas bien vu ! Attends ! Je vais le refaire. Comme ça tu pourras voir !
Stella leva les yeux au ciel. Premièrement, son petit frère était trop naïf. Et deuxièmement, son amie l'encourageait dans ce sens ! Elle décida de les ignorer. S'ils voulaient se bercer d'illusions, soit. Après tout, ce n'était pas son problème. Mais qu'on ne vienne pas la mêler à ces histoires !
Timothée, s'évertua à faire décoller son avion autant de fois que nécessaire pour que Stella réalise qu'elle avait fait une erreur. On s'extasiait quand l'avion miniature se posait un peu plus loin, qu'il survolait la pièce de plus haut ou maintenait le cap de départ. Et lorsque ce n'était pas le cas, on disait que ce n'était pas grave et on réessayait.
Ce ballet dura cinq minutes. Après ce laps de temps, Stella en eut assez et s'empara de l'avion en papier. Avant que quiconque n'ait le temps de protester, il avait une fois encore pris son envol. Mais dehors. Timothée poussa la caisse contre le mur, se hissa dessus et chercha son avion du regard, pendant que Clara prenait sa défense auprès de sa grande sur :
-Pourquoi tu as fait ça ? Laisse-le r... !
-Là ! les interrompit le garçon.
Les deux adolescentes se tournèrent vers lui. Il était dangereusement penché en avant, le bras tendu, comme s'il voulait atteindre quelque chose. Les amies vinrent à leur tour à la fenêtre. Stella empêcha son frère de se pencher plus en avant en le tenant par la taille.
-Tu vois, dit-elle d'une voix adoucie, il ne vole pas ton avion, il tombe.
Timothée était sur le point de baisser les bras lorsqu'un coup de vent fit reprendre de l'altitude à son appareil. Ce n'était pas assez pour Stella, mais lui n'avait rien besoin de plus pour raffermir sa position. A partir de cet instant, le vent accompagna la feuille soigneusement pliée durant tout son trajet. Cette dernière fut donc ballotée tantôt à droite, tantôt à gauche ou repoussée vers le ciel. Timothée sauta de la caisse et se précipita hors de l'appartement en chantant à tue-tête :
-Il vole ! Vole ! Mon avion vole !
Il dévala aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient les escaliers en colimaçon. Timothée poussa la lourde porte de l'immeuble. Il sautilla de bonheur jusquà l'endroit où son avion avait effectué un atterrissage parfait. Ses mains le ramassèrent comme s'il sagissait dun trésor. Le garçon le leva au-dessus de sa tête et se retourna, un sourire de triomphe illuminant son visage. Cependant, lorsqu'il regarda la fenêtre du cinquième étage, il n'y avait plus personne. Son sourire seffaça, son nez le piqua, sa bouche se déforma et ses yeux s'humidifièrent.
Clara était partie. Cétait pourtant la seule à le soutenir. Pourquoi n'était-elle plus là ?
Et Stella. Stella navait jamais compris. Ne comprendrait jamais. Ce n'était pas plus mal qu'elle aussi soit partie. Mais ce que Timothée ne savait pas c'était que sa sur aussi avait eu un avion en papier. Ou plutôt un bateau. Le sien ne flottait pas. Personne ne l'avait aidée à le déplier et à le replier afin qu'il vogue au loin. Le sien avait coulé.
Mais ça, il ne le savait pas. Il ne comprenait pas pourquoi elle était si méchante !
Le garçon tourna la tête vers le sol. Il ne savait plus que faire de son avion. Ce dernier était soudainement trop...
-Nul ! Il est trop nul !
Timothée l'abandonna sur place et courut se réfugier sous le toboggan. Là-bas seulement, il laissa couler sa déception.
-Salut, dit une petite voix.
Timothée se redressa. Il ne savait pas depuis combien de temps il était couché par terre. Ses larmes avaient cessé de ruisseler. En relevant les yeux, il découvrit un garçon de son âge. Ses yeux bruns le fixaient avec insistance. Lenfant tenait un objet près de son cur et en tendait un second à Timothée. Celui-ci ne fit aucun geste pour prendre son avion.
-Je crois que cest à toi, l'encouragea le garçon.
Timothée secoua la tête. Non, il n'en voulait plus.
-Pourquoi ? Il n'est pas cassé !
-Il ne vole pas.
-Alors replie-le !
-Il ne volera quand même pas.
-Comment tu le sais ? Tu as déjà essayé ?
Timothée fit « non » de la tête. Sa sur lui avait dit : un avion en papier ça ne vole pas.
-Et le tien, est-ce quil vole, demanda-t-il en pointant le second objet que le garçon tenait toujours.
-Oui ! répondit-il fièrement. Mais pas encore assez haut. Ni assez loin.
-Alors pourquoi tu le gardes ?
-Ben pour l'améliorer !
Le garçon posa son avion et entreprit de déplier puis replier celui de Timothée. Ses mains, encore maladroites, se débattaient avec la feuille. Timothée le regarda à l'oeuvre, mais ne lui vint pas en aide. Peu à peu, son envie de faire fonctionner ce petit appareil fleurit à nouveau en lui. Quand le garçon eut fini son travail, il tendit l'avion à Timothée. Cette fois, il le prit. Dabord réticent, il finit par se laisser convaincre d'effectuer un nouveau décollage. Timothée sortit de dessous du toboggan.
Le second garçon lança son avion. Timothée se concentra pour limiter. A la fois rempli d'espoir et craignant une douloureuse déception. Il compta jusquà trois. Son avion n'alla pas s'écraser au sol après une courte, trop courte trajectoire. Il vola plus longtemps qu'il ne lavait jamais fait.
-Tu vois ! Il vole bien ton avion !
-Oui, répondit Timothée, mais il ne volera jamais au-dessus des nuages.
-Mais oui ! Il le fera.
-Comment tu le sais ?
-J'y crois !
Timothée alla ramasser son avion. Il l'observa avec un nouveau regard.
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Avion de papier
Short StoryDans le ciel, tu as deux options: 1. Laisser ton avion de papier partir à la dérive. 2. Te battre contre les bourrasques pour voler au-dessus des nuages.