Je rencontre Rory

Première partie : Je rencontre Rory

Lorsque je me mis à écrire ces premières lignes, il était là avec moi. Il me serrait la main et la couvrait de baisers ; il souriait et me murmurait des mots gentils à l'oreille, promenait ses doigts sur ma chevelure noire et bouclée et finissait par m'embrasser doucement, jusqu'à ce que je me sente enivrée par son souffle et ses lèvres rugueuses. Je me rappelle exactement de notre dernière nuit. On était chez lui, pelotonnés sur son lit et, en silence, j'écrivais tandis qu'il posait sa tête contre l'oreiller et s'endormait, bercé par le ronronnement de mon écriture effrénée.

Il s'appelait Rory. Personne ne le trouvait vraiment beau, sauf moi. Il avait un charme fou, et j'en ris même, lorsque je me souviens de mon regard baissé quand il passait avec ses amis le long du couloir de biologie. Je ne sais pas si nous nous étions remarqués avant l'évènement qui nous a réunis, mais en tout cas, nous avions deux classes en commun : l'histoire et l'anglais.

A l'époque, j'étais une sorte de vieille grand-mère dans la peau d'une jeune fille. J'ignorais le prénom de mes camarades de classe et réciproquement aussi, c'était mieux comme ça. Ma routine était une sorte de cercle vicieux que j'arrivais péniblement à surmonter. Rory m'a beaucoup aidé à sortir de là. Sans lui, je serais probablement la même, et, seigneur, quelle horreur ! Je n'avais pas vraiment d'amis, juste quelques hypocrites qui mangeaient avec moi en échange de bonnes notes. D'ailleurs, je m'appelle Samantha, mais Rory m'appela bientôt Sam, et maintenant, mon premier prénom n'est plus que cendres et décombres pour moi.

Le premier jour de classe était un lundi matin. Exceptionnellement, ma mère m'avait laissé prendre sa voiture bringuebalante (mais qui était quand même une voiture) et, de très mauvaise humeur, je m'engageais sur la route du lycée, nommée bêtement « Highschool Road ».  Mon humeur massacrante était due au départ de mon frère pour le Massachussetts, où il comptait intégrer une grande école d'ingénierie. Sur le moment, pas de larmes, ni d'affection. Mais après, je m'étais comportée comme une véritable peste et furie. C'est comme ça que je marche. Mes émotions ne comptent pas sur le moment. Elles comptent juste après.

Ce fut uniquement quand je me mis à conduire seule et bien seule sur la route, que je me mis à pleurer hystériquement. Mon frère était mon seul compagnon et s'il m'abandonnait, théoriquement, il ne me restait aucun ami ; j'étais donc seule.

Je me ressaisis lorsque j'atteignis le grand hall du lycée, et, séchant mes larmes, pris mon emploi du temps aux côtés de la secrétaire. Celle-ci m'adressa un aimable sourire. Oui, la vie scolaire m'adorait, et au fond de moi, je détestais ça. Je détestais leurs petits compliments pour qu'après, tous mes camarades me fusillent du regard en classe.

Rory était au dernier rang. Comment le décrire ? C'est étrange, je n'y arrive pas, ou du moins pour l'instant. Je me rappelle juste qu'il était très bien habillé, avec un pantalon souple beige et une grande veste militaire. Il se roulait une cigarette et gardait toujours ce sourire aux lèvres insolent que je finis par adorer.

Bien sûr, la moi de cette époque-là refusa de s'installer à côté de lui. Je me mis au premier rang, installai toutes mes affaires sur ma table, sortis un stylo de ma trousse et me mis gentiment à écouter Monsieur Sol, le professeur d'histoire.

La classe se remplit peu à peu, et quand nous fûmes tous au complet, Monsieur Sol se décida à nous faire travailler en groupes de deux. Voici ce qu'il dit, je cite :

-       Vu que vous adorez discuter entre vous, je vais vous donner à faire un travail qui m'ennuie profondément et que je ne saurai faire par moi-même : La mondialisation. Oui, je sais, en tant qu'historien, je devrais être passionné par ce sujet mais ce n'est pas le cas. Prenez les copies sur mon bureau et mettez-vous avec qui bon vous semblera. Allez ! Allez !