CHAPITRE I

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Monsieur Kouamé était assis sur la terrasse de sa maison après une dure journée de labeur. Au salon, il entendait son fils et sa fille se disputer autour de la télévision. Il voulait suivre une rencontre de football, alors qu'elle préférait regarder un dessin animé. Cela était souvent leur sujet de discorde. Que devait faire leur père ? Il ne pouvait tout de même pas acheter une télévision à chacun ! Il cherchait inlassablement le moyen de les réconcilier. Soudain l'électricité s'interrompit. Auréole vint s'asseoir à côté de lui, elle avait peur dans le noir. Comme la plante qui émerge du sol, il pensa que le contexte du délestage offrait l'opportunité de parler à ses enfants. Il appela Ronald et les invita à s'asseoir en face de lui, à la lumière d'une bougie. Il dit :
- Aujourd'hui, je vais vous raconter une belle histoire. Quand je dirai "Nan mi ngoua koun hôôô ", vous répondrez " yôôô " !

Les deux enfants, intrigués par cette initiative de leur père, lui répondirent néanmoins par l'affirmative. Il se racla la gorge et démarra :
- Nanmi ngoua koun hôôô !
- yôôô !
Il débuta le conte ainsi :

Ceci est l'histoire extraordinaire d'un frère et d'une sœur qui vivaient dans une contrée lointaine, très lointaine du pays Akan. Leur beau petit village était perdu au milieu de la brousse. Ngouaklo, le pays du conte, était un splendide village avec des cases rectangulaires dont les toits étaient dans le jaune miroitant des toitures, donnant à cette petite agglomération un aspect féerique.
En ce temps-là, il n'y avait pas d'électricité comme aujourd'hui et la noirceur, remplie de choses inconnues, effrayait les hommes. Toutes les nuits étaient noires, si noires que les flammes du feu éclairaient à peine leurs visages. La pénombre baignait toute la nature sauf quand la lune gratifiait les habitants de sa belle lumière tamisée. Les jours sans lune, ils se couchaient en même temps que les poules pour ne se réveiller qu'au lever du soleil. Tous avaient peur de l'ahossi ( le noir en baoulé ) et des choses qu'il dissimulait. Ils laissaient ainsi la place aux choses de l'ombre. Les woya ( petit animal arboricole au crit strident vivant dans la brousse d'Afrique ) pouvaient se faire entendre à mille lieux, les grillons et les hiboux meublaient la nuit de stridulations et de leurs hululements. Les humains avaient aussi peur des génies, ces êtres de la brousse, ces esprits effrayant qui rôdaient une fois le soleil couché.
Malgré tout cela, les habitants vivaient heureux sans palabre d'aucune sorte, car ils avaient le cœur blanc comme le coton. La paix et l'amour étaient les seules religions dans ce village. Les enfants étaient rayonnants de santé et passaient leur journée à rire à jouer ensemble. Chaque fois que les Ngouaklofoué, les villageois de retrouvaient pour danser ou conter après les travaux champêtres, la lune, témoin de leur bonheur, brillait de mille feux pour leur permettre de se rejouir comme en plein jour. À chaque coup que les doigts des batteurs portaient sur les tam-tams, les échos des montagnes leur répondaient dans le lointain.
Dans ce village de bonheur vivait un couple que tout le monde admirait. Un jeune couple formé de Moyétai, le mari et de Moinzué, la femme. Leurs noms étaient très significatifs : celui de l'homme était la malchance et celui de la femme, les larmes. En dépit de la bizarrerie de leurs noms, c'était un ménage heureux. Leur bonheur rayonnait tant que le soleil lui-même était jaloux. Le mari ne se déplaçait jamais sans sa femme et ne prenait jamais de décision sans la consulter. C'était sa seule femme. Ils étaient collés comme l'arbre et son écorce, rien ne pouvait s'immiscer entre eux. Ils se rendaient ensemble aux champs et les soirs de clair de lune, ils s'asseyaient côte à côte lors des festivités. Ils faisaient tout pour entretenir la flamme de leur amour comme au premier jour.
Au bout d'une année, leur union fut couronnée par une grossesse que la femme affichait avec fierté. L'époux, très heureux, l'adulait et la comblait de toutes sortes de choses. Moyétai ne voulait pas qu'elle se fatigue, alors il allait seul au champ pour lui rapporter à manger. Les meilleurs gibiers étaient pour elle. Parfois, elle rejetait un animal fraîchement tué, pour en exiger un autre. Mais l'époux n'hésitait pas eu retournait dans la brousse pour ne revenir que quand il avait ce qu'elle réclamait. Il la gâtait pour qu'elle puisse mettre au monde, dans les meilleures conditions, leur enfant tant désiré.
Malheureusement, tout était trop beau pour être vrai.

Savez-vous que généralement les belles choses en cachent les plus laides ?
Un jour, Moinzué réveilla son mari tôt le matin :
- Je crois que le travail a commencé. Je vais accoucher.
Le mari sursauta et la palpa de toutes parts. Il prit un linge mouillé pour éponger son front dont la sueur dégoulinait. Il mit sa main sur son ventre pour s'assurer qu'elle allait bien. De l'intérieur, il sentit les violents coups que le bébé donnait à sa mère pour frayer un chemin vers l'extérieur. Pris de panique, le père dit :
- Je vais chercher les matrones.
Il sortit précipitamment et revint avec les vieilles femmes les plus expérimentées du village.

Pendant qu'elles s'affairaient autour de la pauvre Moinzué, il battait le sol de sa cour de ses pieds. Il allait et revenait sans cesse, à tel point que ses pas avait tracé un sillon dans le sol sec. Les choses ne se passaient pas comme il aurait souhaité. Trois jours, trois jours durant lesquels la pauvre parturiente souffrait le martyr. Les contractions ne cessaient pas et l'enfant n'arrivait pas non plus. Elle cria si fort qu'on l'entendait de l'autre côté du village et loin dans la forêt. À chaque cri qu'elle émettait, les hyènes répondaient dans le lointain. Cela stressa les villageois car leurs hurlements en plein jour auguraient d'un malheur imminent. Chacun restait cloîtré sur le pas de sa porte comme si on annonçait un décès.

Le retour de la FEMME du GÉNIE [ EN COURS ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant