Chapitre unique

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Ça y est, c'est bientôt l'heure, la représentation ne va pas tarder à commencer. Des loges, je parviens à entendre le bourdonnement d'excitation des spectateurs. Les maquilleuses finissent les dernières retouches avant de s'en aller, me laissant ainsi me concentrer. L'envers du décor. Petit, jamais je n'aurais imaginé le découvrir. A cette pensée, d'innombrables souvenirs me reviennent à l'esprit. Je me lève et tandis que j'entame ma marche vers le plancher, je les laisse me submerger.

J'avais tellement attendu ce moment, comptant les jours tel un enfant attendant noël, et me préparant des semaines en avance, cherchant à savoir s'il serait mieux que je mette la cravate bleue, ou que j'opte plutôt pour la bordeaux, souvenir et héritage du grand homme que fut jadis mon grand-père.

Toute cette attente, cet engouement face au spectacle auquel j'allais assister m'empêchait encore de réaliser que j'y étais bel et bien. Devant moi, le palais Garnier me surplombait de toute sa magnificence. Ses gigantesques colonnes d'un blanc mat semblaient soutenir cet édifice dont mes yeux d'enfant émerveillé en parcouraient les moindres recoins.

J'y suis rentré, observant avec minutie les fins détails du grand escalier, tandis que je me dirigeais vers la salle. Arrivé devant les portes, j'ai soufflé un grand coup, et à l'aide d'une bonne dose de courage, je les ai franchies.

D'interminables rangées de fauteuils en velours rouge s'étendaient sous mes yeux, accueillant à bras ouverts les dizaines de spectateurs bruyants à la cacophonie euphorique et impatiente. Les balcons tendaient la main à ceux qui, un peu moins aisés mais toujours aussi richement vêtus, venaient s'y installer. Les parois, taillées avec une délicatesse incomparable, courraient et sillonnaient l'ensemble des murs, parés quant à eux de riches et élégantes moulures dorées. Sur ces dit-murs, de grands pilastres montaient jusqu'au plafond, soutenant cette voute d'une manière telle qu'Atlas en aurait pali de jalousie, imposant par ce seul fait leur supériorité irrévocable. La coupole ainsi soutenue semblait quant à elle être pleine de vie. En effet les fées s'y bousculaient, dansant dans cette farandole de couleurs du vermeil au cyan, sans oublier bien entendu ce jaune éclatant ou encore ce vert pomme. On aurait dit des illusions, chimères aux paroles remplies de vérités inaccessibles. L'éclat des lumières commençant à brûler ma rétine, je détournais mon regard afin de le poser vers l'entrée de la salle. Cette dernière, si pleine de vie auparavant, n'accueillait désormais en son sein qu'une petite poignée de retardataires. Ses portes se fermèrent alors tout doucement, promesse d'une soirée future aux allures qui s'annoncèrent mémorables.

La scène, d'une immensité à rivaliser avec celle des titans hésiodiques nous surplombait, imposant de sa présence écrasante une autorité que jamais personne n'oserait remettre en cause. Tout était tellement grand, si démesuré que je ne savais plus où donner de la tête. Autour du siège dans lequel j'essayais de me fondre, les spectateurs cherchaient leur place lors d'un étrange ballet. Ils tourbillonnaient, faisant bruisser les tissus de leurs vêtements. Les femmes étaient parées de leur plus belle robe agrémentée de lourds bijoux, dont la magnificence se ressentait même au paradis. Les messieurs accompagnant ces dames arboraient eux aussi leur plus beau costume. Ces couples s'accordaient à merveille avec l'ambiance de la salle. D'ailleurs, je suis sûr que si j'avais fermé les yeux à ce moment-là, j'aurais pu confondre ce spectacle avec une nuée d'oiseaux prenant son envol. J'ai souri distraitement, ce n'était pas pour ce spectacle là que j'étais venu.

C'est cette pensée qui, je pense, m'avait ramené à la réalité. En m'asseyant plus confortablement sur mon siège, j'ai remarqué que l'orchestre symphonique avait fini de s'installer. Les musiciens se concentraient, relisant une dernière fois leurs partitions et accordant leurs instruments. L'agitation présente dans la salle était palpable, et tout à coup, sans que je ne puisse l'expliquer, tout le monde s'est tu. Il n'y avait plus un bruit alors même que la lumière ne s'était pas encore éteinte. La tension était à son comble, la représentation n'allait pas tarder à commencer.

Comme un océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant