Prologue

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     Avec mes vêtements nacrés ondoyants le long de mes jambes nues, le moindre pas se transforma en une danse envoûtante acclamée par la foule. Chaque fois que mon costume se soulevait, dévoilant une bande de peau dorée supplémentaire, chaque fois que les échancrures laissaient entrevoir le haut de mes cuisses ou l'arrondi d'un sein, le public m'offrait une véritable ovation, faisant raisonner leurs cris dans la pièce. J'avais la sensation de flotter au-dessus des planches de bois de la scène, comme si, portée par les louanges des spectateurs, j'étais capable de m'élever du sol, la tête dans les étoiles, mes pieds nus dans les nuages.

     Mes mains s'agrippèrent aux épaules de mon cavalier et, ainsi pressés l'un contre l'autre, nos deux corps ne formant plus qu'un, il me fît tournoyer dans les airs avant de me ramener au sol pour enchaîner avec des pirouettes toutes plus impressionnantes les unes que les autres, au rythme imposé par le piano.

     Nous avions répété ce numéro pendant des jours, mais c'était la première fois que j'avais la sensation que nous étions parfaitement en accord, que nous n'étions qu'une seule et même personne, que nous nous comprenions divinement bien. Un seul regard suffisait à faire passer tous nos sentiments à l'autre, comme si nous étions en symbiose. La danse avait ce pouvoir.

     Les notes moururent petit à petit et, rejoignant enfin le sol, le vrai, je levai la tête vers la foule qui s'était amassée à nos pieds, vers ces sourires qui nous étaient adressés. Le mien naquit en réaction et, dans un même mouvement, on salua profondément quand les applaudissements explosèrent à nouveau, nous brisant les tympans. Mais ça valait le coup.

- Tu as été incroyable, me glissa Visitor quand on se redressa.

- Je te retourne le compliment, fis-je en lui prenant la main pour saluer à nouveau.

     Lui et moi n'avions jamais été très proches, mais cette semaine nous avait fait découvrir l'autre d'une manière inédite. Qui aurait cru que la danse pouvait ainsi lier deux personnes?

     On quitta la scène pour laisser place au groupe suivant qui aurait la lourde tâche de mener la dernière représentation de l'après-midi. Après tout, le gratin du monde de la magie se trouvait actuellement dans l'auberge de la guilde, et il fallait terminer cette journée sur une bonne note. Au premier rang, Jason avait promis de faire le plus bel article de sa carrière. Nous n'avions donc pas droit à l'erreur.

     Mais ça n'était pas Jason qui m'inquiétait.

     Mon regard balaya rapidement tous les visages levés vers la scène, jusqu'à ce que je repère le sien. Les bras fermement croisés, le dos appuyé contre l'une des colonnes soutenant la voûte, Mirajane avait le regard dans le vide. Ses beaux cheveux n'étaient plus aussi bien coiffés que pendant ses folles années en tant que mannequin, sa tenue ne mettait plus en valeur ses courbes féminines. Depuis que le grand mage noir avait été vaincu, en même temps que le roi des dragons, notre égérie favorite avait perdu toute sa légendaire joie de vivre. Et à vrai dire, je ne la comprenais que trop bien. Ce qui la faisait vibrer, ce qui l'avait toujours excitée, c'était de nous voir quitter la guilde, le sourire aux lèvres, pour remplir des missions toujours plus suicidaires, de nous voir rentrer victorieux pour porter la guilde en triomphe. Mais depuis maintenant près d'un an, la tableau des quêtes n'était alimenté que par des missions « basiques », il n'y avait plus de guilde noire à anéantir, plus de réseau de guildes clandestines à débusquer. Et puis, bien sûr, avec la raréfaction des missions vraiment dangereuses, Mirajane avait perdu quelque chose qui lui tenait tellement à cœur : les rapprochements entre mages. Les rapprochements romantiques. Quand, aux portes du désespoir et de la mort, certains osaient se confier à un être cher à leur cœur, ils ne prenaient pas cette initiative en temps de paix. Alors, notre démone officielle n'avait plus de potins à se mettre sous la dent et, petit à petit, nous la voyions dépérir.

     Me frayant un chemin périlleux à travers la foule amassée, je rejoignis mon amie.

- Alors? Tu as aimé? Demandais-je en m'appuyant à ses côtés. 

- C'était très joli. Vous êtes doués, tous les deux.

     J'aurais préféré de plus amples louanges, mais je laissai couler.

- Tu as passé une bonne journée?

     Elle haussa vaguement les épaules.

     C'était pour elle que nous avions organisé tout cet évènement.

- Dis-moi Lucy, est-ce que tu veux bien me laisser t'organiser des rendez-vous?

     Voyant ma grimace, elle m'attrapa les mains, des étoiles enfin apparues dans ses grands yeux bleus. Des étoiles que je n'avais pas eu l'occasion de voir depuis bien longtemps. Mon cœur se serra à l'idée de lui dire non. Je savais qu'elle rêvait de me voir au bras de quelqu'un, surtout celui de Natsu, mais je n'en avais aucune envie. Mais comment lui refuser quoi que se soit quand elle avait ce regard...?

- Je t'en prie, reprit-elle. J'aimerais tellement te voir heureuse.

- Mais je suis heureuse, arguais-je.

- Aller, fit-elle en secouant la tête. Ça ne te coûtera que quelques heures et, si ça ne fonctionne pas avec le garçon en question, je n'insisterai pas!

     Je savais bien qu'elle insisterait, mais je me retins de lui signaler.

     Devant mon hésitation, elle lança :

- Écoute, je te propose un défi. Si tu perds, tu me laisses te choisir trois candidats potentiels.

- Et si je gagne? 

- Si tu gagnes?

     Elle ne semblait vraiment pas imaginer que ce scénario soit possible.

- J'obéirai au moindre de tes désirs pendant toute une journée.

     Il était difficile de lui refuser la moindre demande, surtout quand elle me regardait comme ça, ses mains délicates emprisonnant les miennes avec un peu trop de force. Et puis, si ça pouvait lui redonner le sourire pour quelques instants, j'étais prête à sacrifier quelques heures de mon temps. Je n'aurais qu'à repousser gentiment les garçons qu'elle me présenterait, et le tour serait jouer.

     Je plantai mon regard dans le sien quand ma décision fut arrêtée :

- Marché conclu.


Le pacte du diableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant