1 - Paris

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"Tu vas attendre combien de temps avant de ranger tes cartons ?" me questionne mon père en désignant les cinq cartons dans l'entrée.

"Le temps que nous repartions !", lui lançai-je avec une petite touche de défi.

Ca fait plus de dix ans que je n'ai pas mis les pieds en France et mon petit doigt me dit que nous n'allons pas y rester longtemps. Mon père a la bougeotte. Tout grand diplomate qui se respecte ne peut pas rester dans un pays plus de 4 ans, sinon le mal de terre guette...

Papa est spécialiste en géopolitique et il vient d'accepter un poste de conseiller auprès du Ministre des Affaires Etrangères. Le Ministre a tout fait pour le faire revenir. Il a sorti le tapis rouge, lui promettant résidence privée à la villa Montmorency, voiturier et tout le tralala. "Ce sont des choses que l'on ne peut refuser", m'a-t-il dit. "Tu verras plus tard Anna, les obligations s'imposent à toi quand tu es un adulte"

Et bien si c'est ça être adulte, je préfère avoir 16 ans.

Je ne vais pas cracher sur cette somptueuse villa parisienne, mais tout de même notre résidence de France à Bangkok donnant sur le fleuve était craquante. Et la vie asiatique me convenait parfaitement.

Alors que mon père termine de ranger son bureau, j’en profite pour découvrir le reste de la maison. Au deuxième étage, les chambres d'amis et cabinets de toilettes se succèdent jusqu'à la dernier porte au fond du couloir. Je retiens mon souffle et j'ouvre la porte de ma chambre. Au dessus de mon lit, tout juste installé par les déménageurs, une cathédrale de poutres en bois se déploie au plafond. La pièce est immense, de caractère. Je crois que la vie d'expat' m'a rendue exigeante.

Salamandre dort sur le matelas, il a déjà trouvé sa place. Si je tends l'oreille, je peux l'entendre ronronner cette fripouille ! Depuis 10 ans, ce chat est mon plus fidèle compagnon de route. J'ai réussi à le soutirer à mon père...Il a fallu des semaines de négociations acharnées pour qu'il accepte que ce nouvel "individu" pénètre dans notre sacrosainte demeure. Aujourd'hui, Salamandre vit en bonne entente avec papa. Même si ça n'a pas toujours été facile.

Je m'assoie à côté du chat, qui se déplace à l'autre bout du lit. Quel caractère ! Demain, c'est mon premier jour de cours au lycée Théophile Gautier. J'ai peur de paraitre totalement larguée, surtout que je ne connais rien d'autre que l'école à la maison. C'est Isadora Tan, la préceptrice engagée par mon père, qui m'a tout enseigné. Et si je ne rentrai pas dans le moule ? Je ne connais pas les codes du lycée... Peut-être que je n'ai pas le niveau pour rentrer en seconde et qu'ils me feront redoubler lamentablement. Ils pourraient bien me surnommer "la sauvage" ...

La peur s'insinue en moi jusqu'à me faire suffoquer. Heureusement, je me rends compte que je ne suis plus seule. Deux gros déménageurs dégoulinants de sueurs transportent mon armoire blanche sur leurs dos.

"Par là, oui..non...plus vers la gauche, non droite, gauche, STOP ! c'est parfait, vous pouvez poser", ordonnai-je, jouant les maitres d’œuvre.


Papa et moi, nous prenons notre premier repas en solitaire dans la salle à manger bien trop grande pour nous deux. Isadora nous a préparé un curry. En plus d'être ma prof particulière c'est aussi une cuisinière hors pair ! Quand mon père Charles lui a proposé de nous accompagner en France, elle n'a pas hésité une seconde. Il lui a dit qu'elle pourrait vivre avec nous et qu'il lui trouverait un poste d'enseignante dans mon lycée. La perspective de venir à Paris l'a ravie. Mais entre nous, je pense que ce qu'il l'enthousiasmait le plus c'était de rester près de papa.

"Tu vas voir. Gautier est un des meilleurs lycées de la capitale. Pleins de gens talentueux", souffle-t-il entre deux morceaux de pain saucés.

"Je sais j'ai lu la plaquette, c'est du high level. Mais papa, tu sais, j'aurai pu continuer avec Isadora."

"Non, non, non. Il en est hors de question. J'ai fait toutes mes études à Gautier, je veux que tu ais la même éducation. Tu seras parfaitement encadrée là-bas."

"Je vois ça. Une porte blindée réputée inviolable, une sécurité à toute épreuve. Bref tout cela ressemble à une véritable prison."

"Chérie, tu exagères..."

Anna SolsticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant