Anémone

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Anémone a du mal à l'admettre.

Ça lui fait bizarre, elle n'a jamais ressenti ça. Bien sûr elle a déjà eu des coups de cœurs, des crushs. Mais jusqu'à présent elle a été prudente, rien de trop proche, surtout personne de trop connu. Elle penchait pour les amourettes à distance, pour les sentiments non partagés et pour les personnes trop éloignées. Elle s'adonnait même régulièrement à ces craquages sans risque, ces émotions raisonnées et passagères. Elle apercevait quelqu'un dans un café, dans un autre groupe ou encore dans une autre classe. Elle se laissait aller à rêver, à fantasmer. Tant que l'autre n'était pas trop tangible elle avait toute la place qu'elle souhaitait pour imaginer ! Et elle s'enivrait de se sentir aimer seulement tant qu'elle pouvait se reprendre à tout instant. Et avant que ça devienne coton, elle faisait le deuil de cette émotion inachevée, maitrisée.

Elle étouffait en elle les débuts d'intérêts aussi vite qu'ils étaient nés.

Toujours faire attention à ne pas vivre ça trop intensément.

Anémone était comme ça.

Enfin jusqu'à Blaise.

Elle avait rencontré Blaise il y a trois ans en entrant en prépa. C'est lui qui l'avait abordée le premier jour, dans le bar où leur promo était allée pour faire connaissance. Ils s'étaient retrouvés à côté et avaient sympathisé comme ça, parlant de leurs angoisses de la rentrée, du départ de leur famille. Ils venaient tous les deux de loin, espérant se redécouvrir ici, commencer quelque chose de nouveau.

Très vite Blaise et Anémone sont devenus inséparables; Elle le suivait partout et lui, affectueusement, lui laissait cette place un peu spéciale à ses côtés. Elle le voyait solaire, enjoué et adieux, elle qui se sentait si petite, si triste à ses côtés. Anémone était touchée de leur proximité, elle l'admirait. Il était de ces personnes au charme aérien, tête en l'air et insouciant. En somme il était tout ce qui terrifiait et manquait à Anémone, elle si collée à la terre, elle si anxieuse et si maîtrisée. Pourtant Blaise lui permettait d'être assez prés pour l'admirer, il ne semblait même pas conscient de son aura si rayonnant. Elle avait été éblouie par sa simplicité.

Et puis il y avait eu cette soirée de première année.

En y repensant, c'est là qu'elle avait eu un doute.

Blaise dansait et riait de tout son être au centre de la pièce. Elle le sentait briller même lorsqu'elle ne le regardait pas. Seule sur le balcon, Anémone se sentait mélancolique, un peu à part, comme souvent dans les fêtes. Elle sentait dans ces soirées d'euphorie des moments d'ailleurs. Elle était là sans être vraiment, ses pensées divaguaient et elle oubliait. Elle commençait par oublier la fête, puis les autres, pour finir par s'oublier elle. Ce n'était que comme ça qu'elle arrivait à suffisamment lâcher prise, quand elle avait assez bu pour ne plus se sentir, pour ne plus se saisir.

Et pour ne plus se voir.

C'était un moment comme ça, un moment d'ailleurs, lorsqu'elle a senti Blaise la rejoindre. Ils ont ri à une de ses blagues et le sentir s'asseoir contre elle l'a un peu ramenée sur terre. Mais elle était toujours dans la brume de cet état second, pas encore bien ancrée dans son corps. Alors Anémone n'est pas bien sûre de rêver quand ils se sont embrassés.

Leur amitié a repris la seconde d'après, Blaise s'est levé en riant et a rejoint leurs amies danser. Anémone est restée assise, les pensées fumeuses, la tête toute retournée et un léger sourire aux lèvres.

Elle n'est pas sûre d'avoir osé.

Peut-être avait-elle tout fantasmé. Le souvenir était insaisissable et quand elle le sentait réel, la torpeur enivrante qui l'avait précédé s'y mêlait. Le choc un peu atténué elle se leva, à sa recherche. Il ne dansait plus dans la grande salle, elle interrogea les autres des yeux, des mimiques sans réponse. Anémone commença à angoisser, et s'il avait fui de gêne et de regret ? Elle inspecta chaque pièce un peu déboussolée. Mais Blaise avait disparu, personne ne savait où il pouvait bien se trouver. 

Cette nuit là Anémone rentra discrètement chez elle, 

et le lendemain sans s'en rendre compte, elle oublia. 

Blaise n'en a jamais reparlé.