Le Sapin

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Le trajet jusqu'à l'arrivée en gare me paraît long. Pour supporter l'attente, je repense à la fête de Noël venant de passer. Il y a quinze jours, en prenant le train en sens inverse à celui que j'emprunte aujourd'hui, je ne me doutais pas que je me dirigeais vers des vacances pareilles. Pour patienter tandis que le train poursuit son chemin, je laisse mes pensées divaguer, et la nostalgie me gagner.

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Joyeuse à l'idée de retrouver ma famille pour les fêtes, je regrettais la distance, et donc le temps qui nous séparait, retardant le moment de nos retrouvailles. Essayant de me calmer, je me concentrais pour essayer de percevoir un ralentissement du train, m'indiquant une arrivée imminente. Malheureusement, je dus encore patienter une trentaine de minutes pour enfin sentir un changement d'allure, fait qui me remplit de joie : les vacances allaient enfin commencer. Quand j'entendis le signale sonore, je me levai et, me guidant grâce aux barres, je réussis à descendre du wagon. D'un pas hésitant, je m'éloignai du quai. Attendant que ma famille se signale, j'analysais mon environnement. La gare était remplie de ces odeurs nauséabondes caractéristiques du lieu, et cela m'empêchait de me concentrer sur d'autres éléments. À mon grand soulagement, je n'eus pas à attendre longtemps, car ma mère et mon beau-père m'indiquèrent leur présence :

- Bonjour Audrey.

Ils me serrèrent dans leurs bras après être venus me rejoindre avec mon chien, Occulimei. Il porte très bien son nom, bien que j'aie tendance à l'abréger. Frank, le compagnon de ma mère depuis maintenant douze ans, me tendit sa laisse, me rassurant immédiatement. Plus confiante, je commençai à marcher, et nous rejoignîmes la voiture tout en discutant. Je leur racontais la vie bien tranquille de mon internat, puis ma demie-sœur de huit ans, Camille, qui nous avait attendu dans le véhicule, me raconta ce que j'avais manqué durant mon absence. Après cela, elle me décrivit avec enthousiasme les décorations de Noël en place cette année.
- Cette fois-ci, elle sont blanches et dorées, c'est plus joli que l'année dernière. Dans notre rue, la Mairie a fait installer des guirlandes lumineuses avec des étoiles, traversant la route au-dessus de nous.
J'essayai de les imaginer sans parvenir à les visualiser. Le doré, le blanc, je connaissais, mais je n'arrivais pas à mettre des images sur la description fournie par Camille. "Tant pis", pensai-je, amère.

Nous arrivâmes ensuite chez nous, et, tandis que je me déchaussais, Occuli vint me lécher le bout des doigts. Il me conduisit ensuite dans la salle, dans laquelle ma famille venait de s'installer. En les rejoignant, je sentis un élément inconnu s'enfoncer dans la plante de mon pied nu. Aussitôt, je le retirai en poussant un léger couinement. Une odeur boisée parvint ensuite jusqu'à mes narines, et je compris : ils avaient installé le sapin.
- Désolé, nous n'avons pas pu t'attendre car Noël est trop proche du début des vacances cette année, nous n'aurions pas eu le temps de le décorer avec toi.
Ma mère me connaissant très bien, elle avait deviné, rien qu'à mon expression, le fil de ma pensée. Bien que déçue par leur décision, je la comprenais, car nous devions déjà préparer le réveillon, qui avait lieu dans trois jours, afin de pouvoir accueillir correctement mes grand-parents. Résignée à cette idée, je mis le sujet de côté, dans un coin de ma tête.
- Au fait, enchaîna-t-elle en tentant un changement de sujet, tu as un rendez-vous chez l'ophtalmologiste le 3 janvier.
- OK.
Ma réponse froide n'avait aucun rapport avec le sapin, mais c'était simplement dû au fait que ces consultations n'étaient jamais des parties de plaisir. L'ambiance prit du temps à se réchauffer ce soir là, et quand la soirée arriva à son terme, j'allai me coucher.

J'occupais la seule chambre du rez-de-chaussée - afin de m'épargner la difficulté de gravir un escalier -, et de ce fait, je dus@ attendre la fin des craquements de parquet pour espérer pouvoir enfin m'endormir. Malheureusement, le sommeil ne vint pas à moi. Tristement, je repensais à toutes nos traditions de Noël que nous ne respecterions pas cette année, et à celles auxquelles je n'avais pas pu prendre part. En raison du calendrier exceptionnellement décalé, je n'avais pas pu aller me promener dans la ville avec Camille pour qu'elle puisse voir les jardins décorés des maisons. Nous ne n'allions pas non plus faire de réveillon tous les quatre, puisque mes grands-parents devaient être présents dès le soir du vingt-quatre, ce qui réduisait notre temps ensemble, sans personne étrangère. Non pas que je considérais mes grand-parents comme telles, seulement, j'aimais passer une partie des fêtes de fin d'année dans un cercle familial restreint, me permettant d'être plus à l'aise, moins empruntée.

Mais ce qui allait vraiment me manquer, et j'en mesure toute la douleur aujourd'hui, c'était d'assister à la mise en place du sapin par mon beau-père, et de participer à sa décoration. Habituellement, Occuli restait dans un coin de la salle tandis que Camille guidait ma main, me faisant accrocher une guirlande. De temps à autres, je percutais un objet, mon chien arrivait immédiatement, me redirigeant vers la bonne direction. Après avoir fini, nous asseyions tous les trois devant l'arbre et ils m'en faisaient la description, commençant par le bas, puis remontant doucement vers l'étoile qui se trouvait en son sommet. Patiemment, ils me retranscrivaient avec leurs mots ce dont mes yeux aveugles me refusaient l'accès. Ils essayaient de me faire imaginer la forme, la couleur d'un élément, mais en vain : je n'arrivais pas à le visualiser. Doré, rouge, blanc, carré, rond, triangle, ces mots ne m'étaient pas inconnus, seulement, ils restaient des mots n'ayant aucun sens, aucune signification concrète à mes yeux. Si Occulimei me dirigeait, me faisait éviter les obstacles, il ne pouvait pas remplacer mes yeux, ma vue - quoique son nom le laisse penser. S'il fallait tout de même garder une note d'optimisme, je peux toujours garder à l'esprit qu'il me reste mes autres sens pour me débrouiller. Enfin, inutile de se lamenter plus que de raison, revenons à notre sapin. Ce que j'aimais le plus dans ce petit rituel, c'était le moment de partage avec ma belle-famille, car je mesurais la chance que j'avais d'avoir de bonnes relations avec elle, car ce n'était pas le cas de tout le monde. Comme je passais l'année dans un centre d'éducation pour les jeunes aveugles, je savourais d'autant plus le temps passé ensemble, puisque celui-ci était considérablement réduit. Et je savais que dès le lendemain, et malgré ma déception du soir, je participerai avec joie à la préparation du réveillon, pour le simple plaisir d'être avec eux.

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Une fois les fêtes passées, nous avons, comme chaque année, enlevé assez rapidement les décorations qui ornaient la maison. Certains pourraient trouver cela plutôt triste, mais nous, nous y voyons un empressement de vivre l'instant futur. Alors, ma sœur et moi avons ôté toutes les guirlandes et boules de Noël du sapin, ce sapin si important pour nous de part sa signification, et mon beau-père avait pris la voiture et était allé le porter dans un des endroits prévus à cet effet par la Mairie.

Qui du sapin ou du beau-père aura eu raison de l'autre ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais une chose est certaine : tandis que le train me ramène au Centre d'Éducation des Jeunes Aveugles, nous avons tous conscience qu'il n'y aura plus de réveillon normal chez nous. Triste, je repense à ce que Frank m'avait dit quand je lui ai proposé mon aide pour s'occuper de cette tâche, quelques jours avant ce triste événement. « Tu sais Audrey, depuis mon enfance, je m'occupe du sapin chaque année, ça ne me dérange pas, j'aime ça ». Ils auront commencé ensemble, et fini ensemble, malheureusement trop tôt.

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