Live Freely

Prologue

Il court. Il court à en perdre haleine, à en perdre tout. Plus rien n'a d'importance, plus rien n'a de sens. Sous la pâle lueur des réverbères, le jeune homme parcourt les rues à un rythme frénétique. Il bouscule quelques passants sur son chemin, sans vraiment les voir. La nuit est tombée depuis peu, accompagnée du souffle glacial d'un hiver qui n'est pas encore arrivé à sa fin. Mais il ne sent même plus le froid. Son corps est en ébullition, ses poumons en feu, son esprit incandescent. A bout, il s'arrête finalement, obligé de reprendre son souffle. Tous ses membres tremblent de l'effort physique intense qui l'a conduit jusque sur ce pont. Où est-il exactement ? Combien de temps a-t-il couru ? L'étudiant l'ignore. Il tente de redonner un semblant de consistance à ses pensées, en vain. Ces dernières dansent dans son crâne, une valse asynchrone, dissonante. 

Le souffle rauque, il s'accroupit à même le sol, ses jambes ne parvenant même plus à le maintenir debout. Les quelques promeneurs qui passent encore par là l'observent du coin de l'œil, sans pour autant s'arrêter, la curiosité les poussant à vouloir en savoir plus sur un tel énergumène sans pour autant avoir à s'encombrer de l'aide dont il pourrait avoir besoin. Toutefois le futur adulte ne les remarque même pas, ces hypocrites, ces monstres d'égoïsme. Non, son regard vient de descendre sur sa main droite. Elle est en sang, et assez abimée. Mais sur l'instant, il ne parvient même pas à se souvenir de ce qui l'a mis dans cet état là. Son esprit essaye de reconstituer, difficilement, les événements qui l'ont poussé jusque là. Son cerveau semble s'emmêler peu à peu, dans une kyrielle de pensées toutes plus contradictoires les unes que les autres. Il se souvient avoir songé qu'il était peut-être enfin parvenu au bonheur. Il sait qu'il s'est passé quelque chose qui n'aurait pas dû se produire. Il se rappelle avoir entendu de nombreux cris. Il prend conscience d'avoir dépassé les bornes. Et c'est ainsi que sans s'en rendre compte, il succombe petit à petit à l'angoisse. Sa respiration se fait plus rapide, plus saccadée, ses mains se mettent à trembler et sa vue se brouille de trop nombreuses larmes. Et au milieu de ce flot incessant d'anxiété, une phrase, une seule parvient à s'échapper de ses lèvres tremblantes.

— Quand ? Quand...

Il tente de se reprendre comme il peut. Entre deux souffles toujours plus rauques, sa voix semble si minuscule qu'elle pourrait être emportée par le vent. Il passe machinalement sa main droite, qui commence à être douloureuse, sur sa nuque, laissant une trace de sang sur sa peau. Puis il la passe dans ses cheveux avant de la ramener sur son visage, comme s'il essayait d'en retirer toutes les horreurs qu'il avait subi toutes ces années. En vain. La douleur de sa joue tuméfiée ne semble même pas pouvoir le ramener à la raison.

— Quand est-ce que ça a commencé ?

Oui, quand est-ce que ton monde a été renversé ? Sauras-tu exactement retrouver ce moment, si minime et pourtant si important ? Le comprendras-tu et surtout, seras-tu capable de l'accepter ?