Paris - 2547.
« Chloé, êtes-vous prête ? »
Je grommelai quelques mots, à moitié étouffée par le corset qui étreignait mes côtes et ma poitrine. Mais comment faisaient les femmes pour survivre ?! J'avais énormément étudié la mode en France pour la période entre 1600 et 1700, fascinée que j'étais par cette histoire riche d'aventures et de complots de toutes sortes. Je sortis donc de la cabine, traînant derrière moi des jupons superposés, d'une teinte entre le blanc et le bleu délavé. Des manches pleines à lacets couvraient mes épaules et mes bras tandis que ce maudit corset, un peu trop étroit, délicatement ouvragé de perles, était d'une étoffe très douce. Je ne passais pas innaperçue, dans le laboratoire de recherches historiques ! Heureusement pour moi, nous étions seuls, mon professeur et moi-même.
« Ne manque plus que la coiffure » ajouta Guillaume avec un large sourire.
J'étais en train d'enfiler de doux gants qui montaient jusqu'à mes coudes. La période où j'allais atterir avait oublié les fraises pour leur préférer des colliers de dentelles et de lin, et j'avais autour du cou un tel accessoire également orné de grosses perles nacrées, tout comme mes oreilles et mes doigts aux bijoux ostentatoires. Mes cheveux avaient été longuement travaillés par une coiffeuse émérite, remontés sur mon crâne mais délaissant mes boucles en cascade dans mon dos. J'avais mis presque deux ans à faire pousser une assez longue chevelure pour me permettre une telle coiffure - et cela n'avait pas été une partie de plaisir que de passer entre les mains de l'experte.
Guillaume me tendit un petit chapeau délicat orné d'une rosette, à larges bords. Je l'installais sur mon chef, l'y tins immobile grâce à un jeu d'épingles tandis que mon professeur tournait autour de moi en observant ma tenue. Cela aurait pu être gênant mais il n'y avait eu dans son regard qu'un professionnalisme à toute épreuve. Cela faisait presque cinq ans que j'étais son assistante, et nous étions devenus très amis. C'était lui qui m'avait parlé de l'opportunité d'utiliser la Temporéalité, grâce à une bourse de l'université ; il avait appuyé mon concours et m'avait épaulée durant les préparatifs. J'avais du mal à croire que tout cela avait pris racine deux ans auparavant ! Où étaient passés ces longs mois ? Nous avions tellement étudié, tellement travaillé dur qu'il me semblait que c'était hier que nous avions reçu la lettre d'autorisation et d'acréditation de l'université ...
« Et surtout, ne t'inquiète pas Chloé ; je sais combien tu peux être facilement nerveuse, mais ce n'est là qu'un test de plus, si l'on peut dire » plaisanta Guillaume en rajustant un pli de mes manches.
« Un test, un test, vous en avez de bonnes » grognais-je, essayant d'inspirer sans me casser une côte. « Ce n'est pas vous qui allez vous retrouver propulsé en pleine période - gnnn. »
Je m'étais coincé le doigt et je ne finis pas ma phrase, en suçotant la pulpe douloureuse d'un index malmené. Guillaume me lança un regard plein de compassion - nous en avions longuement parlé, et il connaissait mes doutes, mes craintes et mes rêves. Je devais reconnaître que j'avais de la chance : si la Temporéalité avait été utilisée de nombreuses fois depuis son invention, c'était la première fois où elle allait servir dans des recherches historiques. Et j'étais celle qui avait été choisir pour mener à bien des études sur le terrain pour mes examens finaux !
« Tu as bien vérifié les données de ta puce ? »
On m'avait implanté la dernière puce de Temporéalité - indétectable sous la peau, elle prenait mes constantes vitables en temps réel, pour permettre à ceux restant à mon époque de me faire revenir si besoin. Je disposais aussi d'un petit dispositif, camouflé dans une bague, capable de transmettre quelques messages à longue distance temporelle et enfin, un bouton d'urgence pour revenir dans mon propre temps. Tout m'avait été expliqué et j'étais très excitée autant qu'effrayée. Je jetai un rapide coup d'oeil à l'ordinateur de Guillaume - constantes normales, même si le coeur avait un rythme un peu élevé, mais c'était compréhensible étant donné la situation. Guillaume me fit un petit sourire encourageant puis me désigna le socle de transmission. A partir de là, j'allais être envoyée via le réseau de Temporéalité à la date et au lieu désiré. J'inspirais encore une fois, chassant ma nervosité. Nous avions tant révisé toutes les différentes parties qu'il m'était difficile d'imaginer comment cela pouvait échouer - et pourtant, j'allais rencontrer de véritables personnes, en chair et en os, avec des rêves, des buts, des espoirs, des ambitions. J'avais appris comment me vêtir, comment me comporter, comment parler pour ne pas faire tâche ; on m'avait confié une identité, de solides preuves - artificielles mais qui seraient de la poudre aux yeux des habitants de cette époque ; enfin Guillaume et moi-même avions échangé une partie de nos économies pour acheter des affaires utiles. Mes vaccins étaient à jour. Je n'avais plus que quelques pas à faire.
« Bonne chance, Chloé - ou devrais-je dire, Marie ? »
J'allais également devoir me faire à ce prénom, à toute cette identité que nous avions construite. J'étais sensée être une cousine d'un noble décédé recemment de la cour, venue pour ses obsèques et l'héritage, ce qui me permettrait de mettre un pied dans le Versailles tant rêvé. Je relevais délicatement mes jupons et m'avançais jusqu'au socle lumineux. Guillaume tapotait sur l'ordinateur central, l'air concentré. Nous avions également un énorme bagage contenant des vêtements, les papiers attestants de mon identité de Marie de Vermandois, née de Valmont. C'était une petite bourgeoisie obscure, assez pour ne pas attirer les regards mais qui me permettrait de me faire intégrer à la cour.
« Temporéalité activée. Bonne chance Chloé ! »
Il venait d'appuyer sur le bouton d'activation. J'entendis ses encouragements, puis un grésillement parcourut le socle. Une lumière vive m'entoura, je me protégeai les yeux pour ne pas être aveuglée. On m'avait décrit la sensation d'être transmise mais c'étai très différent de le vivre : chacune de mes cellules picotait, me grattait furieusement, comme si je n'avais plus du sang mais du poil à gratter dans les veines. J'avais du mal à bouger, le corps devenu lourd - avais-je d'ailleurs encore un corps ? Mes sens furent mis à rude épreuve, et une nausée me prit la gorge quand le monde autour de moi, de très lumineux, passa à l'obscurité intense puis à des tonalités bleutées. Une sensation d'intense vitesse me donna le tournis, puis je me sentis partir en avant. Je me râclais les mains et les genoux sur une terre caillouteuse. Autour de moi, un hiver tardif régnait et un froid polaire régnait ; j'eus le souffle coupé et je dus attendre, à quatre pattes dans deux centimètres de neige et de terre rocheuse, que la nausée passe et que je reprenne mes esprits. Autour de moi, de délicats arbres taillés - j'avais, littéralement, atteri à Versailles, à côté d'une cour de végétation.
J'inspirais longuement de vives bouffées d'air glacial. Comment pouvait-il y avoir de la neige, en avril ?! Ma tenue n'était guère adaptée. Je devais avoir quelques manteaux dans mon bagage : en tournant la tête, je vis la pauvre valise éventrée, son contenu à moitié répandu. Pour mes premiers pas en 1640, c'était assez déçevant et loin de mes espérances. Je me relevais enfin, tremblante de froid et du choc de la transmission. Je vérifiais que tout allait bien et hormis quelques égratignures, j'étais seulement un peu déconcertée.
« Madame, puis-je vous demander ce que vous faites en mes jardins ? »
Je relevais la tête, repoussant ma coiffure - totalement défaite, bien entendu. Je clignais des yeux et me mordillais la lèvre : pour parfaire le scénarion, Anne d'Autriche se tenait devant moi, entourée de deux dames de compagnies, trois servantes et un garde. Ce dernier avait d'ailleurs la main sur sa rapière. Tous les regards étaient posés sur moi - et je les sentis d'ailleurs descendre jusqu'aux tâches humides et un rien ensanglantées de ma robe. La neige y avait laissé des auréoles humides aux genoux. J'eus envie de pleurer, puis mon âme d'historienne reprit le dessus. Je redressais le dos, courbais l'échine et fis mon plus beau sourire.
« Je suis navrée, ma Reine, de mon arrivée impromptue - je suis Marie de Vermandois, cousine du duc Antonin mort il y a peu. Mon carosse m'a négligemment laissée finir la route à pieds, à cause d'un bête accident de roue - la neige n'a guère aidé au trajet depuis le comté de Valois. »
Mon ton était ferme, sans à-coups. Cela sembla détendre la cour de la Reine, mais Anne d'Autriche m'observait d'un air impossible à décrire. Ses yeux bleus étaient d'une grande pureté, et je dois avouer qu'elle était très belle, dans sa robe bleue et blanche à fourrure. Tout en elle respirait la royauté et la noblesse. Je grelottais soudain avant de faire mine de ramasser mes affaires.
« Madame de Vermandois, laissez nos servantes s'occuper de vos bagages. Accompagnez-vous dans mes apparements, je serai ravie de connaître en détail toute l'histoire de votre venue chez nous. »
Je délaissais donc mes affaires, rassurée de sentir à mon auriculaire la bague dans laquelle se trouvait le transmetteur. Je pourrais transmettre quelques rapports, à travers le petit système intégré. La batterie avait une druée longue de plusieurs années, ce qui me permettait de ne pas avoir à m'en soucier. Je me glissais auprès des dames de compagnie et, espérant ne pas faire de bévue, je suivis la reine et ses suivantes jusqu'à Versailles.
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En espérant que ce premier chapitre vous aura permis de vous immerger dans l'histoire, n'hésitez pas à commenter !
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Au temps des mousquetaires
AdventureSi vous pouviez voyager dans le temps, où iriez-vous ? Chloé, jeune assistante d'un chercheur en histoire, a l'occasion de tester une toute nouvelle machine : la Temporéalité, permettant des voyages dans le temps sécurisés et innovants. Vivant en...