Le Porc/L'homme qui suait

Chapitre 1: Cette personne est normale

Cette personne-là est normale. Comme tous les autres gens. Ce personnage a un travail, comme tous ceux qu'il connait, une passion, des goûts...

Cette personne est tout ce qu'il y a de plus normal, peut-être trop normal, lambda à son goût. Cet homme apprécie les fictions de son temps, de gens spéciaux qui ont des destinées spéciales. Le sens du devoir, mêlé au pouvoir d'accomplir sa mission, pour le bien des autres, même si l'envie de ne le faire que pour soi est forte. Les héros que cet homme connait dans les livres qu'il a lus, dans les films qu'il a vus, dans les histoires qu'il a entendues ont un sens de l'abnégation, un fond de bonté qui force l'admiration, mais tout cela manque de...profondeur ? réalisme ?

Cet homme-là, Patrick, l'appellerons-nous, est l'opposé de ces figures célèbres, il est comme tous ceux qui l'entourent, et tous savent au fond que, malgré l'envie qu'ils auraient de pouvoir sortir de l'ordinaire, ils ne seraient pas capables d'endosser les responsabilités données par des pouvoirs héroïques. En fait, ils ne seraient pas même capables de résister à l'envie de se fondre dans la masse s'ils avaient quoique ce soit de spécial, et s'est normal, ça n'a rien de mal...c'est normal.

Aussi aberrant que cela puisse paraître, ce dont la plupart des gens rêvent : la force, le pouvoir, le droit d'être spécial, l'argent... ces choses sont toutes les choses que ces gens normaux ne seraient pas capables de contenir. En fait, ces gens normaux rêvent de ce qu'ils ne veulent pas... c'est étrange, non ? Enfin bref...Patrick est un homme normal.

Comme tout bon adulte avec des amis normaux et une vie normale, Patrick passe ses weekends à aller au cinéma, au restaurant ou en boîte de nuit avec ses amis normaux, pour aller côtoyer des inconnus normaux, autours d'une table normale, et parler de sujets de conversation normaux.

Patrick est quelqu'un d'assez paradoxal sur certains points. Tandis qu'il mange la même pizza qu'ils partagent un samedi sur trois avec son plus vieil ami, Marco, ils discutent du point auquel les scénaristes de Usual Suspects sont des génies et ne devraient même pas appartenir au même monde que ceux de Rambo 4. Ils parlent de leur intelligence en n'imaginant pas un seul instant que cela puisse venir d'une autre œuvre ou qu'ils aient pu l'inventer autours de la même pizza que celle que Patrick et Marco partagent en ce moment même. Rien de tout cela ne sort du banal et c'est pas mal, du moins jusqu'à ce que Patrick ne commence à se poser des questions simples mais qui remettent tout en question. Comment utiliserait-il ses capacités s'il héritait de l'ingéniosité et de la paire de couilles de Kaiser Soze, ou quel que soit son nom ou son orthographe. En fait, comment utiliserait-il son pouvoir s'il en avait un ? La réponse classique irait vers le bien commun ou le gain individuel, mais la plupart des gens répondant à la question oublient une possibilité : qu'en serait-il s'ils trouvaient cela normal ? Superman peut voler, entendre une personne à des kilomètres de distance et tourner autour de la Terre assez vite pour remonter le temps, et évidemment il sauve le monde de sa destruction à chaque nouvelle aventure. Et s'il ne savait même pas qu'il était capable de cela ? S'il se disait qu'il entend des voix, cours juste un peu plus vite que ses amis... si Patrick était capable de remonter le temps mais incapable de se rendre compte qu'il a remonté le temps, ou des bêtises du genre ?

Marco secoue son ami qui semble avoir planté devant ses yeux comme un vieil ordinateur qui a eu trop d'informations d'un coup. Si les ordinateurs étaient conçus sur le modèle des hommes, Marco aurait pu réparer Patrick, mais bon... et quand on y pense, c'est bien pour nous qu'ils ont été créés, ces bouts de circuits auxquels ont tient tant...

En ayant pris son ami pour le secouer, Marco s'est rendu compte d'une chose assez étrange. Lui et Patrick sont dans un restaurant climatisé et, malgré la température suffocante de l'air extérieur, peu de choses pourraient expliquer que Patrick sue autant. Il n'a pas l'air fatigué ni déshydraté. Il transpire... tout simplement. C'est encore plus étrange quand on sait, comme Marco, que Patrick résiste très bien aux températures et qu'il ne transpire presque jamais... mais bon... les choses changent, non ?

Marco arrive finalement à sortir son ami de son absence et lui demande évidemment ce qu'il a.

-Marco... tu t'es jamais demandé comment les choses seraient si t'étais...spécial, mais sans le savoir ? Les choses ne changeraient pas, pas vrai ?

-Ok...on va arrêter les bières je pense...

-Quoi ? Nan ! Attends, réfléchis-y.

-Bon alors... J'imagine que j'ai le super pouvoir de... faire comme si j'en avait quelque chose à faire... mais je n'en suis pas au courant... ouais, t'as raison. Passe-moi ta bière s'il te plait. Bois un truc sans alcool, tu sues comme un porc, il faut que tu t'hydrates.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Patrick s'arrête de transpirer et, je sais que j'ai l'air d'insister beaucoup trop sur sa sueur et le fait qu'il soit normal, mais vous devez comprendre son point de vue.

Evidemment, comme toute normale personne se trouvant dans une situation similaire, après avoir entendu la réponse de Marco, Patrick s'arrête un instant, se frotte les mains et se rend compte qu'elles glissent littéralement l'une sur l'autre à cause de la couche de sueur qui les recouvre, et se demande ce qui a bien pu se passer pour qu'il transpire autant. Oui, il met son temps à comprendre, mais il finit par se demander si autant de sueur inexpliquée ne serait pas causée par un élément dans la pièce, comme si quelque chose de véritablement anormal était survenu dans sa vie l'espace d'un instant. Aurait-il mangé un cochon radioactif ? Aurait-il été maudit après avoir cassé un miroir ? Evidemment, comme toute personne normale, il considère que ces idées sont ridicules et qu'il a sans doute juste beaucoup transpiré. Après tout, était-ce si grave ?

Patrick et Marco payent alors leur pizza, leurs bières, et partent. Ils prennent leur bus, en se lançant des blagues incroyablement bien trouvées sur la situation précédente dans la pizzeria comme l'une d'entre elles concernant un mollusque qui entre dans un bus.

Quand Patrick est arrivé chez lui, il se pose à nouveau la question. N'y a-t-il véritablement rien d'anormal dans la transpiration exagérée dans la pizzeria ? Il se rend très vite compte que le fait d'avoir quitté la pizzeria lui a laissé un petit creux, et va donc prendre un plat au hasard dans son frigo pendant qu'il continue de se demander quels éléments particuliers étaient présent autour de sa pizza. Il attrape un yaourt et une cuillère en plastique, le genre de cuillère jetable qu'on trouve dans les salades des supermarchés mais qu'on n'utilise pas ou qu'on ne jette pas toujours.

Ensuite, Patrick va saisir un stylo et une feuille et, sans s'asseoir, commence son yaourt. Alors qu'il se déplace tranquillement vers sa table pour s'installer normalement et continuer de manger son yaourt normalement, son yaourt lui glisse des mains. Il se rend compte que ses mains sont toujours pleines de sueur. Ou la sueur avait-elle disparu dans le bus ? Etrange. Anormal. Comme dans la pizzeria, Patrick se transforme en une fontaine à transpiration, sans la moindre raison apparente. A-t-il attrapé une maladie ? C'est possible, mais une qui ne vous fait que suer ? Etrange. Anormal.

Son creux n'ayant pas pu être rebouché par ce yaourt car il était tombé par terre et avait dû être jeté, Patrick pose sa feuille et son stylo sur la table avant d'aller prendre un autre yaourt. Cette fois-ci, il ne le commence qu'après s'être installé à table. Il le mange normalement et, pendant qu'il le mange, se remet à suer. Il se demande, non, se rend compte que la nourriture le fait transpirer comme un crâne chauve au soleil. Pour en être sûr, il va chercher un yaourt, le mange pour observer le même phénomène, retourne en chercher un, puis un autre, jusqu'à ce qu'il n'en ait plus. Il constate qu'à la fin de l'expérience, sa table est pleine de sueur, une douzaine de yaourts ont été vidés, et que tout cela n'a même pas pu entamer son petit creux, qui a même pu se transformer en un appétit exagéré.

Conclusion : La nourriture ingérée ne devient que de la sueur. Ou un truc du genre.

Patrick se rappelle alors sa discussion avec Marco, de la possibilité qu'ils aient des pouvoirs mais sans s'en rendre compte, ce qui en fait des aptitudes plus que des pouvoirs. Le super pouvoir de Patrick serait donc de transpirer ? Utile quand on essaie de vous empoisonner ou de vous jeter de l'acide mais... Patrick le Porc ? C'est loin d'être aussi stylé que Spiderman ou l'Homme Invisible.