« La rue est une représentation fidèle de la banalité : un bébé dans une poussette, un mendiant dans un coin, et un livreur sur son vélo. Et puis, il y a cette femme, au milieu de la route. Cette femme qui marche comme une ombre, sans regarder le Soleil. C'est comme si la lumière avait quitté son visage, l'avait fuie pour toujours, la condamnant aux ténèbres…
Dans un monde où chacun cherche son âme sœur dont le prénom est gravé au poignet, être seul à vingt ans est une abomination. Les parents d'une anomalie - tel est le surnom infâme qu'on leur donne - renient souvent leur progéniture pour éviter la honte populaire. Les malheureux finissent donc par errer en fantômes dans les villes, attendant leur Salut sans que personne ne les pleure.
Alice, la blonde déchue, n'en était pas une. Elle le voulait, pourtant. Se faisant passer pour telle, la jeune femme préférait agonir dans son coin que d'attendre son promis… Si tout le monde cherche l'amour, Alice fuit.
— Je sais que c'est difficile à croire, mais je suis Belzébuth.
La voix était un merveilleux baryton ; la blonde s'arrêta. Mais aucune surprise sur son visage : que du chagrin.
— Ne me court pas après, murmura-t-elle sans se tourner vers lui.
Il l'ignora, et son souffle fut un maléfice :
— Il y a des milliers d'Alice sur Terre, mais une seule m'est destinée…
— Laisse-moi vivre, le supplia-t-elle.
— Ton monde t'a déjà tuée.
Il retourna sa promise pour que leurs prunelles se croisent, embrasant leur esprit d'un feu éternel. Alice savait être condamnée. Elle l'était depuis toujours et avait fui naïvement…
Mais la nuit tombe plus vite que le jour ne se lève. Le démon, désireux d'acquérir sa propriété, poussa la femme qui s'écroula au sol.
Une rue quelconque. Des passants. Un camion. Soudain, des cris s'élèvent. Le rouge remplace le noir. On ne hurle pas la mort d'une abomination, cependant. C'est pour ce qu'elle porte à son poignet brisé : « Belzébuth ».
La rue est moins banale désormais. »