Femme-de-lettres

La roue 
          	
          	La roue est la plus belle découverte de l’homme et la seule
          	il y a le soleil qui tourne
          	il y a la terre qui tourne
          	il y a ton visage qui tourne sur l’essieu de ton cou quand tu pleures
          	mais vous minutes n’enroulerez-vous pas sur la bobine à
          	vivre le sang lapé
          	l’art de souffrir aiguisé comme des moignons d’arbre par les
          	couteaux de l’hiver
          	la biche saoule de ne pas boire
          	qui me pose sur la margelle inattendue ton
          	visage de goélette démâtée
          	ton visage
          	comme un village endormi au fond d’un lac
          	et qui renaît au jour de l’herbe et de l’année
          	germe
          	
          	Aimé Césaire, Soleil cou coupé

Femme-de-lettres

La roue 
          
          La roue est la plus belle découverte de l’homme et la seule
          il y a le soleil qui tourne
          il y a la terre qui tourne
          il y a ton visage qui tourne sur l’essieu de ton cou quand tu pleures
          mais vous minutes n’enroulerez-vous pas sur la bobine à
          vivre le sang lapé
          l’art de souffrir aiguisé comme des moignons d’arbre par les
          couteaux de l’hiver
          la biche saoule de ne pas boire
          qui me pose sur la margelle inattendue ton
          visage de goélette démâtée
          ton visage
          comme un village endormi au fond d’un lac
          et qui renaît au jour de l’herbe et de l’année
          germe
          
          Aimé Césaire, Soleil cou coupé

Femme-de-lettres

Grand prix de la ratp 2021 : 
          
          Minuit moins toi
          
          J’ai dessiné les carrefours de Belleville
          Tâchés d’images au feutre indélébile
          Cent fois
          Décolorés, paysages versatiles
          Triste aquarelle au reflet de ma ville
          Sans toi
          Il est minuit ce soir et la lune semble s’éteindre
          Mes nuits moins le quart,
          Minuit moins toi
          Mes nuits moins le quart,
          Minuit moins toi
          
          Grand prix adultes - Clémence Paradis

Femme-de-lettres

Au programme de l’agrégation de 2023 :
          
          Détachement
          
          Il est des maux sans nom, dont la morne amertume 
          Change en affreuses nuits les jours qu'elle consume. 
          Se plaindre est impossible ; on ne sait plus parler ; 
          Les pleurs même du cœur refusent de couler. 
          On ne se souvient pas, perdu dans le naufrage, 
          De quel astre inclément s'est échappé l'orage. 
          Qu'importe ? Le malheur s'est étendu partout ; 
          Le passé n'est qu'une ombre, et l'attente un dégoût.
          
          C'est quand on a perdu tout appui de soi-même ; 
          C'est quand on n'aime plus, que plus rien ne nous aime ; 
          C'est quand on sent mourir son regard attaché 
          Sur un bonheur lointain qu'on a longtemps cherché, 
          Créé pour nous peut-être ! et qu'indigne d'atteindre, 
          On voit comme un rayon trembler, fuir ... et s'éteindre.
          
          Marceline Desbordes-Valmore, Les pleurs (1833).

Femme-de-lettres

Allégeance
          
          Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima? 
          
          Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part. 
          
          Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse. 
          
          Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?
          
          Fureur et Mystère (1948), Réné Char

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Poème chinois « Yue chu » traduit :
          
          La lune à son lever
          
          La lune luit à son lever
          Charmante dame au beau visage
          Dont la démarche nonchalante
          Étreint mon cœur d’accablement. 
          
          La lune éclaire à son lever
          Charmante dame au doux minois
          Dont la démarche languissante
          Étreint mon cœur d’affliction. 
          
          La lune brille à son lever
          Charmante dame qui flamboie 
          Dont l’allure si séduisante
          Étreint mon cœur d’un vif émoi. 
          
          Anonymes, Le Classique des Poèmes/Shijing

Femme-de-lettres

Les plaisirs de la porte
          
          Les rois ne touchent pas aux portes.
          
          Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l’un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, – tenir dans ses bras une porte.
          
          … Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l’un de ces hauts obstacles d’une pièce ; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l’œil s’ouvre et le corps tout entier s’accommode à son nouvel appartement.
          
          D’une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s’enclore, – ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l’assure.
          
          Francis Ponge, Le parti pris des choses (1942)

Femme-de-lettres

Complainte litanies de mon Sacré-Cœur
          
          […]
          Mon Cœur, cancer sans cœur, se grignote lui-même.
          
          Mon Cœur est une urne où j’ai mis certains défunts,
          Oh ! chut, refrains de leurs berceaux ! Et vous, parfums…
          
          Mon Cœur est un lexique où cent littératures
          Se lardent sans répit de divines ratures.
          
          Mon Cœur est un désert altéré, bien que soûl
          De ce vin revomi, l’universel dégoût.
          
          Mon Cœur est un Néron, enfant gâté d’Asie,
          Qui d’empires de rêve en vain se rassasie.
          
          Mon Cœur est un noyé vidé d’âme et d’essors,
          Qu’étreint la pieuvre spleen en ses ventouses d’or.
          
          […]
          
          Mon Cœur est une horloge oubliée à demeure,
          Qui, me sachant défunt, s’obstine à sonner l’heure !
          
          Jean Laforgue, Les Complaintes (1885).