༄ La Cascade Colossale

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   De ses petits pieds non-chaussés, il foulait avec rapidité le sol tapissé d'herbe et de feuilles mouillées. Ses vêtements, trop amples, flottaient autour de sa maigre silhouette et son souffle, saccadé, fumait dans la fraîcheur de cette nuit d'été. Le rugissement de l'eau se faisait entendre un peu plus à chaque nouveau pas.

   — C'est bon... On y est... On y est presque... Tu m'entends, Setsuko... ?

   Il s'adressait d'une voix hachée à la petite forme qui se détachait sur son dos. Cette dernière se voyait éclairée par les rayons rebelles de la Lune qui parvenaient, au prix d'une lutte acharnée, à percer l'épais feuillage des nuages et de la forêt. Seul un vague gémissement lui répondit, à peine assez élevé pour couvrir le fracas de la chute qui grondait.

   — J'ai mal... Seita...

   — Tiens le coup... Il faut que... Il faut que tu tiennes le coup, p'tite sœur...

   Quelques enjambées supplémentaires achevèrent de les conduire à l'endroit désiré par leurs deux cœurs. À leur arrivée, une odeur putride, en vain noyée par celle de l'eau, vint les accueillir. Ils n'en furent cependant pas plus dérangés que ça, et ce même si devant l'environnante puanteur leurs petites narines frémirent.

   Ces effluves, il y avait si longtemps qu'ils y étaient habitués. La Mort et ses macchabées. Elle régnait en maître, depuis aussi loin que leurs souvenirs remontaient. Elle avait détrôné la Paix – sans qu'ils ne sachent réellement qui elle était. Ils ne l'avaient jamais connue. Jamais vue. Ils vivaient dans la peur et la misère. Sans père, ni mère. Mais l'espoir jamais ne les quittait. Il marchait à leur côté. Compagnon certes invisible aux yeux, mais bien présent dans leurs jeunes cœurs. Dans leur for intérieur.

   — Nous y sommes... nous y sommes, Setsuko ! La cascade colossale...

   Elle portait remarquablement bien son nom, et l'eau – qui semblait se déverser directement des cieux – roulait avec force, créant un nuage de fumée blanchâtre au pied de la chute, se dissipant bien vite dans les ténèbres abyssales.

   — Courage, p'tite sœur ! Courage... Il suffit de boire et nous serons sauvés... La légende dit forcément vrai...

   Soudain, ses forces l'abandonnèrent. Tout comme ceux à qui il avait imploré de l'aide, naguère. Égoïstes et lâches, voilà ce qu'elles étaient ! Seita trébucha, tomba, se redressa, puis se traîna jusqu'à l'onde pour en puiser une petite quantité. Sa main en coupe, il but et en apporta aux lèvres de sa sœur, toujours attachée dans son dos.

   — Bois, Setsuko.

   L'inconscience les engloutit, une fois leurs gorgées avalées...

   L'instant d'après, leurs yeux s'ouvrirent d'un coup et leurs joues creusées, se gonflèrent, se rosirent, pleines de vitalité. Alors, tournant le regard, ils virent d'autres enfants se relever. Tous paraissaient en excellente santé.

   Sous l'injonction de la brise nocturne, les nuages – tels des soldats obéissants à leur commandant – s'écartèrent pour laisser passer le plus grand et le plus impressionnant des généraux : l'astre lunaire. Il domina très vite le ciel de sa blanche et aveuglante lumière. Avec un certain orgueil, il se reflétait sur la surface cristalline du lac clair.

   Deux grands oiseaux blancs, presque argentés sous la Lune, descendirent soudain en piquant vers le lac qu'ils fendirent en deux V coordonnés. Ils ouvrirent ensuite leurs ailes, semblant vouloir inviter les enfants à jouer. Ces derniers ne se firent pas prier. Sautant de joie et criant gaiement, ils rejoignirent les deux anges dans les calmes eaux. Il en allait de même pour Seita et Setsuko. Ils jouèrent à s'éclabousser. À se pourchasser. Ils criaient avec vigueur. Ils riaient de tout leur cœur. Le temps sembla dès lors s'étirer. Après tout, le Paradis dure une éternité...

   D'un coup, le vent se fit de plus en plus violent et bientôt, il gronda :

   — Vite, nuages ! Reprenez immédiatement votre poste de combat !

   De puissantes détonations déchirèrent le ciel à en faire pâlir orages et éclairs. Ce n'étaient plus les étoiles qui illuminaient cette dernière scène, mais une ondée brûlante larguée de la voûte céleste : des bombes incendiaires.

   Et parmi le chaos, là, reposant à proximité des eaux redevenues agitées, une dizaine de petits corps.

   Morts...

   Tantôt groupés, tantôt solitaires. Tous tournés vers l'onde, dont les bras houleux semblaient vouloir les embrasser avec fougue sans pourtant pouvoir les atteindre : leur chi-mère.

   Les enfants restèrent là, étendus, ne prêtant nullement attention à l'embrasement de la forêt, ni au feu qui la dévorait, sans jamais être repu. Bientôt, les ombrages des flammes dansèrent en un doux ballet sur les visages candides et détendus.

   Les enfants dormaient.

   Les enfants rêvaient... 

D.W

ɴᴏᴛᴇ ᴅ'ᴀᴜᴛᴇᴜʀ
Ce poème a été rédigé pour
le Concours de poèmes de @7Bloody et a reçu la note de 11,5/15 ! Le thème était « Au pays des rêves » et il faut dire
q

u'il m'a bien inspirée ! 😁

Comme le suggère les prénoms des deux protagonistes :
Seita et Setsuko, je me suis en
grande partie inspirée du film d'animation Le Tombeau des lucioles pour écrire ce texte !
(Par ailleurs, si vous n'avez
jamais vu ce film, n'hésitez pas
à aller le regarder ! Il est
⌞ merveilleux... 😉) ⌟

𝐋𝐀 𝐏𝐋𝐔𝐌𝐄 𝐕𝐎𝐆𝐔𝐀𝐍𝐓𝐄「 ᵖᵒᵉ́ˢᶦᵉ 」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant