Réfléchis Écris

42 7 12
                                    

Il pleuvait et tu criais. Tu ne criais ni par joie, ni par colère, tu criais ta peur. Tu avais peur du monde. On t'avait arrachée à un cocon pour te balancer dans le froid et le bruit. Quel pire changement peut-il exister ? Son nom ? Tu le connais. C'est à ta naissance que tu dois ton malheur. Et la danse continuera de t'emporter jour après jour.

Ton enfance... que dire dessus ? La joie en faisait partie bien sûr. Dernière née d'une famille aimante, choyée par tes parents et protégée par tes proches. Mais il y a toujours une petite ombre au tableau. Le travail de tes parents fera que tu seras arrachée à ta ville natale au zénith de ta cinquième année. Tu resteras malgré cela joyeuse, et, de par ta faculté à socialiser, tu ne tarderas pas à recréer un cercle d'amis dans lequel tu seras bien. Mais, encore, ton monde s'écroule, un troisième foyer fait son apparition. La décadence commencera pour toi à Massalia. La première année fut dure à cause des nombreux changements dans ta vie mais tu trouveras le calme grâce à deux amies sur lesquelles tu peux compter. Mais l'an suivant. Tes rêves de joie furent balayés par une rafale du Sirocco. Le sable des ennuis te tourmente et des dunes de problèmes se forment. Effrayée par ton désert de tristesse, tu te renfermes à l'intérieur et parais joyeuse à l'extérieur.

Ton masque est créé. Ton rôle appris. Mais le démon est perfide, il te suit dans l'ombre de tes pensées. Tu le combats mais la lutte est infernale. À bout de force, tu abandonnes.

Vient alors ton troisième déménagement. Retour à la campagne. Tu n'oses pas l'avouer mais au fond de toi, des émotions se mélangent. Le soulagement, ils ne seront plus là. Et la peur, seras-tu là-bas plus à ta place ? Le collège commence et rien ne change. Cette angoisse s'accroche et tu portes ta croix avec peine. Les premiers mois passent et une lumière apparaît. Elle est si joyeuse, complètement folle et a un humour irrésistible. Elle devint ta raison et te permet de maintenir le cap. Elle devint le feu qui éloigne ton ombre. Elle t'est essentielle. La cinquième passe et de nouvelles rencontres ont lieu. Un solide groupe t'entoure maintenant. Mais tu le sais. Tu la sens. Elle guette une faille et s'introduit dans chacune de tes sombres pensées. Elle te poussera à bout et commencera à prendre le dessus. Le sommeil te quitte et l'inquiétude te gagne.

Pour tes amis, tu es un pilier sur lequel on peut se reposer, une oreille toujours présente, toujours dévouée. Ta famille, elle, ne voit que ce que tu acceptes de leur montrer, une jeune fille joyeuse, pure et innocente. Tu la regrettes tellement maintenant. Cette innocence trop vite envolée. L'été devient ta seule source de liberté. Le seul endroit où le masque tombe. Mais derrière ce masque, nul ne voit la souffrance trop ancrée en toi. Alors tes mensonges prennent vie. Tu le savais. Ton don pour l'illusion te permet de mentir à tout un chacun comme si de rien n'était. Alors les gens y croient et tu commences à ne plus différencier le monde réel de ce paradis que tu as inventé. Ce paradis où tout va bien. Où tu vas bien.

La rentrée et ses problèmes arrivent et déjà, tu remets ton masque. Tu penses aller mieux mais le destin en a décidé autrement. Comme des millions de personnes, le confinement te tient recluse dans ta maison. Tu pensais avoir touché le fond ? Bienvenue en Enfer. L'isolement. La solitude tant redoutée. Ta chambre, avant havre de paix, devient prison. Tu ne dors plus, tu t'inquiètes. Tu ne souris plus, tu te forces. Tu ne manges plus, tu te maintient en vie. Mais ce n'est pas ce que ton masque laisse voir. Pour ta famille tu fais partie de ces adolescents qui n'aiment pas le confinement. C'est normal pour tes proches. Mais tu ne peux pas te mentir. Tu ne vas pas bien. Tes nuits ne sont que cauchemars et nuits blanches. Ton moral s'effondre. Tu souffres en silence. Seule. La vie, tu n'en veux plus. Mais la seule chose qui fait que tu ne sautes pas c'est la culpabilité. Tu ne veux pas partir parce que tu ne veux pas qu'ils aient ta mort sur la conscience. Non. Ce serait trop simple. Ils n'ont pas vu leur fille s'éloigner un peu plus à chaque moment qui passait ? Ils n'ont pas vu ta souffrance ? Ils sont aveugles et mourir ne t'apportera pas la paix !

Alors tais toi et endure. Endurer. Toujours endurer.

La détention s'achève pour l'été mais il ne t'aidera pas. Il se soldera par une blessure. Le cœur est fragile et le tien n'a pas été brisé. Comment le pourrait-il ? Il y a longtemps qu'il ne fonctionne plus. Non. Ton cœur n'a pas été brisé. C'est ton esprit qui a souffert. Et une faille ne se rebouche pas. Elle se fissure jusqu'à devenir un gouffre où le temps n'a plus de prise. Et si le temps n'y a plus accès, alors même la Mort ne viendra pas te libérer.

Une enveloppe de chaire et une conscience, voilà ce à quoi tu te résumes désormais. Tu es l'être humain sans son humanité. Tu es. Les cours reprennent et rien ne change. Ton cœur n'est plus et tu le sais. Mais tu en as marre. Marre de souffrir seule en attendant la Mort ! Marre de voir tes proches comme ils sont mais sans qu'ils te voient ! Alors tu cries. Tu cries ta peine et ta souffrance. Tu cries sans retenue ce hurlement que tu gardais en toi depuis si longtemps. Tu respires après une si longue apnée.

Et il t'entend. Lui. Il t'a sauvé. Il a su voir au delà des apparences et a reconnu la souffrance dans tes yeux. Il t'a fait parlé et tout est venu. Tout ? Non. Tu garderas toujours des mystères sur pourquoi tu es celle que tu es devenue. Mais tu lui as parlé et ce fut le commencement. Il t'a convaincu, tu dois en parler à d'autres. Alors tu fais la démarche. Tu en parles à une adulte. Elle en parle à ta mère. Vous en parlez ensemble et voilà. Le miracle opère. Tu es guérie.

C'est faux.

Tu ne peux être guérie en deux discussions et un coup de baguette magique. Mais tu as peur. Peur qu'on ne te comprenne pas. Qu'on réduise ta souffrance. Et tu as tellement raison de le penser !

La crise d'adolescence. Voilà à quoi se résume ton problème selon tes parents. Une crise d'adolescence. C'en est trop. Ils ne veulent pas t'aider ? Alors tant pis. Tu sombreras seule. Tu fais comme si tu allais de mieux en mieux. Tu parles de problèmes résolus et de grandes discussions mère-fille avec tes amis pour les rassurer. Mais tu sais. Tu la sens encore. Elle n'est pas partie. Et ne partira jamais.

Pour la VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant