RENCONTRE INONDÉE

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Je reconnais à peine le filet de voix rauque qui sort de ma gorge. Il me tend alors la main.

Assise sur mon pull, je contemple le lac...Il fait beau aujourd'hui. Un grand soleil éclaire les baigneurs, nombreux au loin.

On dit souvent que le temps est à l'image de nos humeurs... mais bien sûr, je ne fais rien comme les autres...

J'essuie une larme coulant sur ma joue... encore une.. ça ne s'arrêtera donc jamais?Je dois me reprendre, les enfants m'attendent ... Je dois me reprendre le quotidien m'attend...Je dois me reprendre... Je dois me reprendre...

Plus je dis cela et plus les larmes redoublent... C'est pas possible... je suis ridicule!

- Ça va mademoiselle?

Je relève brusquement la tête de mes genoux que j'ai replié devant moi. Et je rencontre deux  somptueux yeux verts, qui me font entrevoir les prairies irlandaises que je ne connais même pas... Les plus verts que j'ai jamais vu. Un nez aquilin, un peu tordu qui n'enlève rien à son charme. Le grand brun devant moi attend une réponse qui n'arrive pas.

Devant mon mutisme, ses sourcils se froncent, ses yeux se plissent et laissent apparaître deux petites rides de lion qui pourraient le vieillir d'un coup, mais il n'en est rien. Cela lui confère plutôt l'aura bienveillante de quelqu'un qui n'hésite pas à rire souvent.

- Vous ne parlez peut-être pas français? Do you speak french?

Il s'agenouille à quelques pas de moi, comme on le ferait avec un petit animal sauvage...

- Du sprichst deutsch?

Je sens ma lèvre se relever indépendamment de ma volonté.

- Vous vous moquez de mon accent allemand là?

Ses yeux pétillent...

- Vous parlez très bien le français en fait!

- Pardonnez moi... L'émotion...

- Venez, on va marcher, ça vous fera du bien...

- Non, je... Je... ça va passer.. ne vous souciez pas de moi...

- ça ne me dérange pas... Allez! Vous me rendrez même service, je dois marcher pour ralentir mon coeur après mon jogging.

Un clin d'œil agrémente sa tirade, et un beau sourire étire ses lèvres... le rendant encore plus sexy. Par réflexe, je me fais une réflexion "trop beau pour être vrai", pourtant  instinctivement, je mets mes deux mains sous mes fesses, pour m'empêcher de succomber à la tentation de tendre une main.

- Non, je vous assure, ça va aller... En plus, je dois avoir les yeux d'un lapin albinos...

- Mais non, je vous assure, vous êtes magnifique.

Il ne sait pas qu'il vient de toucher, sans le vouloir un point plus que sensible. Mon sourire s'efface et une larme coule le long de ma joue. Mes yeux se détournent vers le lac, pendant que ma main va l'effacer sans même que j'y prête attention.

- Je suis désolé, me dit-il doucement, je ne dirais plus rien...

Mes billes reviennent sur lui et j'aperçois dans ses yeux un éclair que je n'arrive pas à interpréter. "Après tout pourquoi pas?", mon corps commence à être fourbu par la position, et mes mains sont parcourues de fourmillement. De plus le soleil est bien descendu et je sens l'humidité imprégner mes vêtements, l'air frais souffle sur mes joues encore moites.

Je me redresse lorsque je croise ses yeux et les vois se plisser de satisfaction. J'avance vers lui, qui est toujours accroupi. Et c'est alors qu'il se "déplie"... "déplie" parce qu'il est immense... Je sens ma mâchoire se décrocher. Je suis obligée de lever la tête pour continuer à le regarder dans les yeux. Pourtant j'ai bien eu le temps d'apercevoir son torse dessiné sous un débardeur de sport moulant ses formes à la perfection, au point que j'ai pu voir un petit duvet brun à travers. Ses yeux se mettent à nouveau à pétiller, ses lèvres se retroussent franchement. Un son bas et grave sort alors de son torse... Il rit! Ce son est comme un pansement sur ma tristesse.

- Vous êtes  minuscule!

- Mais pas du tout! c'est vous qui êtes immense! lui dis-je d'un ton faussement vexé. Je vais me faire un torticolis!

Pour mon plus grand plaisir, il s'esclaffe à  nouveau. Comme une couverture chauffante qu'on aurait posé sur mon âme, se son me réconforte de l'intérieur. Il se décale alors de quelques pas.

- On n'y va?

Sans attendre ma réponse, comme s' il avait peur que je change d'avis, s'il s'attarde, il ouvre la marche. Je le suis alors vers le chemin principal qui longe le lac pour rejoindre le parking. Je remarque très vite qu'il a des fesses sculptées, splendides. Il faut dire que je suis à la bonne hauteur pour cet élément intéressant du paysage. Je suis tellement absorbée dans cette contemplation que je manque de percuter l'édit postérieur, lorsque mon compagnon de balade s'arrête pour se retourner légèrement. Je vois à son air soudain espiègle qu'il a surpris mon regard et je sens mes joues s'échauffer brusquement signe d'une coloration coquelicot sur ces dernières. Mais en vrai gentleman, il ne fait aucun commentaire à ce propos.

-Où êtes-vous stationnée?

Hésitante, je me mords pas la lèvre inférieure, je regarde alors le lac au loin, une nouvelle fois. Comme un refuge. Je fini par lui dire d'une voix mal assurée:

- Je suis venue à pied, je ne vis pas loin.

- Je vous raccompagne...

- Non, non, ce n'est pas nécessaire...

La panique qui m'envahit... Mes yeux papillonnent partout, comme à la recherche d'une issue, alors qu'aucun mur ne nous entoure. Instinctivement, je recule d'un pas, comme prête à m'enfuir.

- hé! minipousse...!

A son intonation douce, presque chuchoté, ce petit mot, rappel à une jeunesse télévisée lointaine, je lève les yeux et suis pris en otage par leurs profondes couleurs verdoyantes.

- Je ne vous ferez aucun mal...

Il lève alors sa grande main, pour la poser délicatement sur ma joue. Tout doucement comme on le ferait à un enfant tourmenté. Cependant mon corps réagit malgré moi. J'ai un petit mouvement de recul... A force d'habitude, certaines réactions deviennent instinctives... Mais à ce moment précis, je déteste encore plus ma situation.

Il ne dit rien, se contente de laisser retomber sa main le long de son corps. Je vois dans ses yeux qu'il n'insistera pas. Bien que je devrai être satisfaite, je sens comme un pincement au cœur.

- Je suis garé juste là...

Du menton il me désigne une voiture stationnée à l'écart des autres. Je découvre une Audi TT, noir, étincellante de propreté. Ma mâchoire a dû se décrocher parce que je le vois du coin de l'œil esquisser un sourire espiègle.

- Toujours pas intéressée par une balade? Vous êtes visiblement amatrice. Ce serait dommage de ne pas en profiter...

- Non, non, vraiment je vous remercie... une autre fois peut-être...

Il me semble percevoir une lueur de déception dans ses iris... mais je dois me tromper... pourquoi un parfait inconnu, il y a encore quelques minutes serait-il déçu de ne pas raccompagner quelqu'un comme moi? quelconque et pleurnicharde en plus? non, ça n'avait pas de sens...

- Très bien, ajoute-t-il, je prends note pour ce rendez-vous...

Je sursaute, la surprise doit se lire sur mon visage.

- Je... Oui... Non...Enfin... Je ne sais pas ... Je... Ce n'était...

Mais il ne me laisse pas finir et se détourne. Mes yeux descendent instinctivement... me faisant perdre le reste de mes moyens. "Depuis quand, tu te comportes comme ça?" me souffle ma petite voix.

Il m'achève alors en lançant avec sa voix rocailleuse:

- Je pars devant... je ne voudrais pas vous priver d'un paysage que vous semblez apprécier.

Heureusement, il ne me vit pas à nouveau devenir rouge comme une cerise mûre. Pas si gentleman que ça finalement l'animal! Et je réalise alors, qu'à nouveau, il a réussi à me tirer un sourire. ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas autant fait travailler mes zygomatiques que j'en ai presque mal aux joues.

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