Chapitre 2

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Son monde n'était que couleurs. Dégradés et nuances. Toutes les teintes de l'arc-en-ciel déployées sous ses yeux. Ces yeux qu'il était le seul à posséder. Une personne par génération dans sa famille et uniquement sa famille. Il avait fallu que ça tombe sur lui. On lui avait chaque jour répété que c'était un don, un immense honneur, mais lui, le voyait comme une malédiction. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas le choix. Il avait un rôle à tenir. Depuis sa naissance, il avait été formé pour le jour où il remplacerait sa tante dans ses fonctions.
Sa particularité n'atteignant sa pleine puissance que le jour de la mort de sa parente.
C'était hier.
Tout avait changé. En l'espace d'une seconde, le temps qu'un souffle s'arrête, qu'une vie s'achève, il avait su ce qui était sur le point de se dérouler. Il allait naître une seconde fois. Dans la douleur. « On naît toujours dans la douleur » disait sa mère. Voilà une phrase qu'il aurait préféré ne pas vérifier. Pourtant, encore une fois, elle avait eu raison.
La souffrance l'avait traversé de part en part.
Une longue plainte s'était échappée de ses lèvres tandis qu'il tombait à genoux.
« Le pouvoir se répandra dans ton corps comme le feu qui ravage tout sur son passage mais ce n'est que peu de choses en comparaison du don qui t'est fait. »
Peu de choses. Il abhorrait cette femme insensible qu'était sa tante alors que chacune de ses cellules s'embrasait et qu'il hurlait de douleur. Il avait senti le pouvoir l'envahir et le sentiment de puissance qui l'accompagnait. Il avait apprécié ça... Et s'était détesté en même temps.
Il l'avait senti pulser derrière ses yeux, prêt à submerger la dernière trace de son humanité. Il ne fallut qu'une seconde. La pire de sa vie.
Ses iris, jusqu'alors semblables à de l'or liquide, s'étaient mués en rouge sang. Il aurait été bien en peine de décrire ce qu'il avait ressenti. Il y a parfois des douleurs indescriptibles. De celles qui marquent, laissent une trace indélébile sur la peau.
Comme les écorchés peints sur les murs des lieux sacrés pour que les hommes se remémorent de craindre ce qu'il y a de plus grand.
L'or en fusion de ses yeux s'était écoulé en larmes brûlantes, chacune laissant une traînée jaune sur ses joues. Maquillage indélébile qui, associé à ses nouveaux iris vermeil, avait fait de lui le Prisme.
Lui-même, ce qu'il avait toujours été, tout en étant un autre. Un être doté d'un pouvoir inégalé. Inégalable.
Un autre Lui qu'il ne connaissait pas, malgré toutes ses années d'entraînement, et auquel on ne laisserait aucun répit.
Sa tante était morte au moment où les coulées s'étaient incrustées dans sa peau et ce n'aurait pu être à pire moment.
Un sourire triste accroché au visage, envahi par un sentiment qu'il pensait être du chagrin, il n'avait pu s'empêcher de penser que ses yeux étaient désormais assortis à la mode vestimentaire du moment. Il essayait toujours de voir le bon côté des choses.
Ses cousins étaient venus frapper chez lui une heure après le décès de la Porteuse de Mort.
Il se remettait à peine de sa mutation. Haletant, couvert de sueur, le cœur au bord des lèvres, il avait ouvert sa demeure et entendu comme dans un mauvais rêve une liste bien trop longue des choses dont il serait le dépositaire. On l'avait traîné sans rien dire jusqu'au chevet de sa tante.
La pièce était envahie par les membres de sa famille. L'Ordre.
Son père avait pris la parole d'une voix forte et fière. Son fils était un être unique.

—     Le Prisme est mort. Vive le Prisme.

Sa mère lui avait remis ses accessoires.
D'abord son uniforme. Une redingote et un pantalon noirs comme les nuits sans étoiles. Il était le seul à pouvoir porter cette non couleur.
Puis son insigne. Un prisme en diamant monté sur une chevalière. Elle s'agenouilla pour lui passer à l'annulaire de sa main gauche et embrassa le symbole de pouvoir. Il était désormais marié à sa fonction. Jamais il ne devrait en dévier car rien n'était plus grand que le Prisme. Pas même une femme ou un enfant.
Et enfin la touche finale. Ses lunettes. Comme ça, de l'extérieur, elles avaient l'air anodines. Innocentes. De simples verres sur une monture ronde et fine qui, sur n'importe qui d'autre que lui, ne seraient rien. Un verre neutre. Surface transparente laissant passer la lumière comme toutes les autres.
Il les avait déjà essayées bien sûr, mais son pouvoir n'était pas encore à son plein potentiel. Ce qu'il avait vu au travers des lentilles n'était qu'un pâle reflet de la réalité.
Son souffle fut coupé une seconde, le temps de réaliser que le monde avait changé.
Plus jamais, on ne pourrait lui mentir. Plus jamais, on ne pourrait le tromper. Et sa parole serait LA parole. Le monde le craindrait et se prosternerait devant lui.

Le bal des monstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant