le horla

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On dirait que l'air, l'air est invisible est plein de puissances inconnues, dont nous subissons les alentours mystérieux. Je m'éveille pleins de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. -Pourquoi?- je descends le long de l'eau; et soudain,après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m'attendais impatiemment chez moi. -Pourquoi?- Est-ce un frisson de froid qui, caresse ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si véritable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée? Sait-on? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets rapides, surprenant et inexplicables.

Comme il est profond, ce mystère de l'Invisible! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d'une étoile, ni les habitants d'une goutte d'eau... avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l'air en notes sonores. Elles sont des fées qui font ce miraclede changer en bruit ce mouvement et par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui rend chantante l'agitation muette de la nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec notre goût, qui peut à peine discerner l'âge d'un vin!

Ah! Si nous avions d'autres organes qui accompliraient en notre faveur d'autres miracles, que de chose nous pourrions découvrir encore autour de nous!

16mai. Je suis malade, décidément! Je me portais si bien le mois dernier! J'ai la fièvre atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps ! J'ai sans cesse cette horrible sensation d'un danger menaçant, cette appréhension d'un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l'atteinte d'un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.

18mai. Je viens d'aller consulter un médecin, car je ne pouvais plus dormir. Il m'a trouvé le pouls rapide, l'oeil dilaté, les nerfs vibrant, mais sans aucun symptôme alarmant. Je dois me soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.

Le Horla de Guy de MaupassantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant