Te rendre fier - R.A.B

T R O I S

-Kreattur doit boire la potion ? interrogea l'elfe d'une voix qui trahissait sa terreur, mais aussi une certaine conviction. Il venait de briser le silence que tous deux s'étaient imposé jusqu'ici.

Régulus secoua négativement la tête.

-Je vais la boire, affirma t il.

Un couinement déchirant échappa à l'elfe.

-Non maître, non, supplia Kreattur. Maître, vous ne pouvez pas...

L'elfe semblait au bord des larmes, mais Régulus s'était juré de ne plus laisser son dévoué serviteur souffrir, et rien de l'arrêterait dans sa quête. Il boirait cette potion quels qu'en soient les risques, il le fallait.

Alors il fit ce que jamais il n'avait fait, et il s'agenouilla devant l'elfe et plantant ses yeux verts dans ceux globuleux de Kreattur, il s'adressa à lui.

-Kreattur, je t'ordonne de me laisser boire cette potion, chuchota-t-il.

-Maître Régulus, et si vous... ?

-Faut il tout boire ? interrogea le jeune homme en ignorant délibérément la question.

-Jusqu'à la dernière goutte, affirma Kreattur en baissant les yeux.

-Alors tu devras me laisser boire tout, jusqu'à la fin. Récupère le médaillon, et détruis-le. Tu dois à tout prix le détruire. Promets-moi que tu le feras.

Kreattur était réticent à donner sa parole à son maître, car il savait que Régulus prendrait sa promesse comme un signal de départ pour boire la potion, et l'elfe était conscient que ce serait la dernière chose que son maître ferait. Mais le jeune homme attendait la réponse.

-Je vous le promet, murmura-t-il.

-Merci Kreattur.

Ce n'était qu'un simple merci, mais pour l'elfe de maison, c'était le plus beau cadeau du monde. Jamais quiconque n'avait prononcé ce mot à son attention ; les seules paroles auxquelles il avait le droit habituellement étaient des ordres que lui lançait Walburga Black.

Régulus se détourna et une fois face au bassin surélevé dans lequel reposait le médaillon, recouvert d'une eau noirâtre, il prit une grande respiration. Une coquille était posée sur le bord. De toute évidence, il devait boire tout le liquide en l'utilisant. Il la plongea dans l'eau sombre, et sa main effleura la surface du liquide. L'eau – si l'on pouvait qualifier ce liquide d'eau- n'était pas froide, mais une sensation glacée lui traversa l'échine.

Derrière lui, Kreattur tremblait de terreur. Le jeune homme le ressentait, mais refusa de se retourner. S'il croisait le regard de son elfe, il n'était pas sûr de pouvoir continuer à boire la potion.

Régulus porta la coquille à ses lèvres et laissa couler le liquide dans sa gorge. La sensation était désagréable au possible, mais il s'était attendu à ce qu'elle lui brûle l'œsophage, à devoir surmonter une douleur insoutenable. Il plongea une seconde fois la coquille dans le bassin, la remplit à nouveau de la potion noireâtre et avala une nouvelle fois. Il répéta ce geste trois fois avant de commencer à ressentir les effets de la potion. Il la ressentait désormais s'infiltrer partout dans son corps, parcourir la moindre veine de son organisme. Essayant de ne penser à rien qu'au but qu'il s'était fixé, le Serpentard bu encore, mais la magie noire qui imprégnait le liquide commençait à se faufiler dans les méandres de son cerveau, et ses pensées se mélangeaient. La potion se cristallisa dans ses veines, à une vitesse exponentielle, et la sensation que son corps était rempli de milliers de bouts de verre acérés le prit soudain. Tout mouvement était source d'une douleur à hurler, mais Régulus avait été habitué à la douleur, et plus encore, à ne pas la laisser paraître.

« Au moins, mon éducation Black m'aura servi à quelque chose » pensa-t-il amèrement.

Au bout de la huitième gorgée, la cristallisation débuta dans son cerveau, et lacéra bientôt tous ses tissus intérieurs. C'était une douleur qu'il n'aurait pu imaginer, même dans ses pires cauchemars. Pire que les tortures que son maître s'amusait à infliger à ses victimes moldues, pire que cinquante Endoloris à la suite, pire que l'abandon de Sirius, la douleur était partout. La pensée de son frère permit à Régulus de ne pas – pas encore – sombrer. Il n'était plus capable de former des pensées cohérentes: à peine venaient-elles dans son esprit que la souffrance reprenait le dessus, et ses pensées se limitaient désormais à des mots.

Une minuscule part de lucidité qui résidait encore en lui permit à Régulus de boire encore, malgré les éclats de douleur qui fusaient partout en lui. La main tremblante, il plongea la coquille dans le bassin, bien moins rempli qu'au départ, et la porta à sa bouche avant d'en verser le contenu d'un seul coup. Ses gestes étaient saccadés, mais en dépit des tremblements, la potion ne se renversait qu'une fois portée aux lèvres.

Cette gorgée fut celle de trop : à la douleur physique s'ajouta une voix. La voix du Seigneur des ténèbres, chuchotait dans son esprit. Régulus ne tenait plus sur ses jambes et s'effondra au sol.