Chapitre 4

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– Pourquoi est-ce que vous êtes sorties bordel ?

La voix du supérieur qui me fait face est pleine d'animosité alors qu'il fait les cent pas dans la pièce. Ses poings sont serrés dans son dos. Sa tête est baissée, laisse ses mèches ébène tomber devant ses yeux. Il n'attend pas de réponse, continu son monologue, l'air passablement agacé.

– Vous n'êtes que des Illuds alors restez à votre place, il s'exclame avant de relever la tête vers nous. Votre rôle c'est de suivre les ordres putains !

Qu'est-ce qu'il est vulgaire celui-là...

– C'est ça le problème, rétorque Ydna en croisant ses bras contre sa poitrine. Tu ne nous as donné aucun ordre. Tu t'es contenté de filer plus vite que ton ombre sans un mot.

Ekliud la fusille du regard, fait un pas menaçant dans sa direction. Je n'aime pas son attitude et surtout, je ne comprends pas comment peut-il être tant énervé. Peut-être que je n'aurais jamais dû sortir mais bordel — on a failli crever !

– Toi et moi on n'est pas potes Anastëh. J'ai l'impression que tu as tendance à toujours oublier le grade de ceux qui t'entourent.

– Ô par les Déesses, quelle mauvaise foi, elle maugrée les yeux au ciel. Tu ne crois pas qu'il y a plus important à faire ce soir ? Comme préparé la Veillé de Fasimède par exemple ?

– Ne me dis pas ce que j'ai à faire, il s'écrit, son visage désormais a seulement quelques centimètres de celui de l'Illud.

J'ai l'impression d'être de trop ici. Toutefois, je me contente de les écouter, accolée au mur blanc du bureau qui me fait face — à l'évidence, celui du supérieur. Je les écoute d'une oreille distraite, gratte quelques informations sur eux au passage. Autant rentabiliser le temps que je perds bêtement ici. Sans compter que leur chamaille me permet d'oublier ce qu'il s'est passé quelques heures plus tôt.

– Tu ne pouvais rien faire pour lui, murmure Ydna d'une voix soudainement radouci.

La fureur dans les yeux de Ekliud. Son attitude exaspérante. Maintenant, grâce à cette phrase, je comprends. Il culpabilise de ne pas avoir pu sauver Fasimède et d'avoir laissé son meurtrier s'échapper dans la nature. Est-ce que c'est en se comportant comme un connard qu'il se dégage de toutes ses pensées noires ?

– J'aurais au moins pu avoir la décence de ne pas le laisser filer bordel. Ou de s'en prendre à une putain d'Illud, il maugrée avant de relever la tête vers moi. Je n'ai pas oublié ta présence, tu sais.

– Je commençais à y croire... je marmonne.

Le supérieur commence à se calmer, pose les mains sur son bureau, laisse un soupir las s'échapper de la barrière de ses lèvres. Derrière lui, je regarde le crépuscule s'installer doucement sur Adeltita. Le ciel semble s'enflammer, exactement comme les iris brûlants de Ekliud. Il laisse quelques secondes s'égrener sans daigner les rattraper avant de se reprendre.

– Anastëh à raison. Il y a plus important à faire ce soir que de disputer deux inconscientes.

Ydna m'adresse un ultime regard, me dit sans un mot ce qu'il me reste à faire. À contrecœur, je décroise mes bras de ma poitrine, plonge mes yeux gris dans ceux du supérieur à quelques mètres de moi.

– Ça ne se reproduira plus. Je vous en fais la promesse.

Il arque un sourcil, comme surpris par mon intervention.

– Il faudra plus qu'une promesse pour retourner dans les bonnes grâces de Kurde, tu sais.

Je repense à Lystia. Celle qui m'a offert une place ici — ma place. À Moraï, à son sourire enchanteur et à la fierté qui dansaient dans ses yeux noirs le jour où je lui aie annoncé que je tentais d'aller à l'Institut d'Adeltita. Si je perds cette faveur du Dignitaire, il ne restera plus rien de moi. J'ai fait une erreur. C'est à moi de la rattraper avant qu'il ne soit trop tard. Mais je ne demande pas à Ekliud comment. Ce serait trop déplacé alors que la Veillée de Fasimède va commencer d'un moment à l'autre.

Entre Deux Lumières T1 - Les Affres du PouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant