Pente abrupte

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Gérard montait la pente abrupte difficilement. À chaque pas, le poids de ses lourds bagages faisait s'enfoncer ses bottes dans la neige. Ses vêtements humides laissaient passer le vent froid, lui donnant d'horribles frissons. Le givre s'accumulait sur le cuir de son sac, le rendant si sec et gelé qu'il avait perdu toute sa flexibilité. Le vieil homme se maudissait de ne pas mieux s'être préparé. Il avait l'habitude des escapades risquées en milieux sauvages, mais la haute altitude amenait de nouveaux défis. Bien que l'absence d'arbres sur le flanc dénudé du mont Pertegor permettait d'admirer la vallée de Paragal, elle laissait le vent balayer les pentes et s'engouffrer librement dans tous les interstices.

En arrière de Gérard se trouvait une file de quelques personnes. Il y avait un couple de paysans ruinés, qui essayaient probablement d'échapper aux taxes du royaume des nains en traversant la frontière. Il y avait aussi un jeune homme maigre et mal vêtu. Des traces sur ses poignets suggéraient que ses mains avaient été récemment attachées. Une femme moyennement âgée fermait la marche. C'était une noble, portant des vêtements élégants et exhibant des manières distinguées. Il aurait le malheur de devoir la guider jusqu'à la lointaine ville de Kaldeau. Il avait horreur de traverser un royaume en entier pour une seule personne.

Gérard passait souvent son temps à observer les gens qu'il escortait. Remarquer les traits inhabituels de ses clients lui changeait les idées pendant qu'il endurait les longs voyages que son travail lui faisait faire.

Par exemple, il avait remarqué la blessure à la jambe du jeune homme. Sa démarche était raide, anormale. Il cachait sa douleur. C'était clairement un échappé de prison. Bien sûr, Gérard n'en pensait rien. Dans un voyage aussi difficile, la survie passait par-dessus le crime ou la justice. Même le plus vicieux des bandits n'aurait osé faire quoi que ce soit dans ces conditions.

Un pied après l'autre et assailli par le vent glacial, le petit groupe gravissait le flanc de la montagne. Tous, incluant Gérard, était exténués. Mais ils savaient bien qu'il était impossible de s'asseoir avant d'arriver sur un quelconque plateau. Le prisonnier, frigorifié dans les minces vêtements qu'il avait sur le dos, perdit l'équilibre et tomba vers l'avant en poussant un faible gémissement. Il se fit rattraper par la femme.
Gérard, ayant remarqué l'agitation, se retourna et croisa le regard inquiet de la femme.

- Croyez-vous que nous arriverons bientôt? Demanda-t-elle en aidant le jeune homme à se relever. Je ne crois pas qu'il va tenir longtemps.

- Euh... Eh ben, c'est la première fois que je grimpe cette montagne, madame. Mais si j'en crois ce qu'on m'a dit, la montée dure trois bonnes heures.

En voyant le visage de la dame s'assombrir, Gérard s'efforça à dire quelque chose de rassurant.

- La pente s'adoucit, on devrait bientôt y être.

L'expression de la femme ne changea pas. Le guide abandonna et reprit la marche. Après tout, ce n'était pas son travail de maintenir le moral, et ce n'était pas son fort non plus.

Gérard ne s'était pas cru quand il avait dit que la pente s'adoucissait, mais à sa grande surprise, quelques minutes plus tard, le groupe atteignit un plateau. Tout le monde se réjouit d'enfin avoir un sol plat où se reposer. Après une exténuante journée de marche dans la neige, les grimpeurs allaient pouvoir s'étirer les jambes et profiter d'un repas chaud.

Dans l'environnement inhospitalier de la montagne, peu de végétation survivait. Seuls quelques arbustes rabougris perduraient. Par chance, les voyageurs trouvèrent un pin gris desséché, qui avec l'aide d'un peu de bois apporté par Gérard, fournit assez de carburant pour allumer un feu.
On fit cuire les quelques morceaux de viande salée qu'il était possible d'apporter durant un tel voyage. Inconfortablement assis sur des pierres froides et irrégulières, les voyageurs savourèrent le seul plat substantiel qu'ils auraient lors de la traversée des montagnes.

Mont PertegorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant