Chapitre 1

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La forêt. Les couleurs du printemps. Cette douce brise sur sa peau hâlée. Les rayons de soleil qui perçaient à travers le feuillage déjà bien fourni des chênes et des pins, et ornaient ses longs cheveux ondulés de certaines de pastilles d'or. Le bruit des graviers du chemin sous ses baskets usées.

Tant de bruits, de sensations et d'odeurs qui la faisaient sourire.
Le seul sourire qu'elle esquissait en ce moment. Car sa vie était loin d'être simple; elle était même de plus en plus sombre.
La raison de ses malheurs ? Elle ne le savait pas elle-même. Elle avait toujours été différente des autres, et cela la pesait, d'autant plus que l'année de troisième n'était pas la plus encline aux différences. Les autres adolescents ne la comprenaient pas. Ils ne voyaient en elle qu'une fille timide, réservée et solitaire. Ce dernier reproche n'était cependant pas totalement faux. En effet, elle préférait rester seule plutôt que de subir les moqueries incessantes de ses petits camarades.
Heureusement pour la jeune fille, la forêt qui bordait sa maison ne la jugeait pas, elle. Les oiseaux ne cessaient jamais de chanter, le soleil semblait toujours briller au-dessus des grands arbres. Tant de chemins parcouraient la vaste étendue boisée que l'adolescente pouvait en emprunter un différent chaque jour. Elle les connaissaient tous par cœur, la forêt était depuis toujours un immense terrain de jeux pour elle; et pourtant, il lui semblait qu'elle découvrait chaque jour de nouveaux détails, des coins tous plus beaux les uns que les autres. De nouveaux nids d'oiseaux, des terriers frais habités par diverses espèces sauvages.
C'était pourquoi aujourd'hui, au lieu de se trouver sagement assise parmi sa classe, à écouter son fossile de prof d'anglais déblatérer les phrases les plus barbantes de l'Histoire, elle s'était faite porter malade et, profitant de l'absence de ses parents partis au travail, se promenait tranquillement dans les bois.
Cette technique, elle ne l'aurait jamais employée en sixième, ni même en cinquième. A vrai dire, c'était bien une des rares fois où elle mentait à ses parents sur son état de santé. Bien sûr, c'était pour lui éviter de mourir d'ennui en cours, ce qui lui semblait être un mal pour un bien.
En bref, les cours, elle les connaissait tous par cœur (toutes matières confondues), et obtenait généralement un 18 (minimum) à chaque contrôle. Elle avait déjà sauté deux classes, et était largement en avance sur le programme scolaire. Ce qui lui valait évidemment le surnom d' "intello", auquel la jeune fille s'était finalement habituée.

Toutes ses pensées furent interrompues par un bruit inconnu. Levant les yeux, elle cherchait l'oiseau qui en était à l'origine, mais ne trouva rien. Puis la mélodie revint, douce mais d'une incroyable justesse. Emma décida de se diriger vers l'endroit d'où semblait provenir la belle mélopée. Celle-ci la guida au beau milieu d'une petite clairière tapissée de fleurs bleu sombre, qui abritait l'arbre le plus majestueux de la forêt: un chêne bicentenaire qui se tenait toujours fièrement dressé, comme pour montrer sa splendeur millénaire.

La voix retentit encore. C'est alors qu'un éclat argenté frappa son œil droit. Se tournant, elle remarqua un objet au pied du chêne et se dirigea vers le vieil arbre. Elle se pencha et ramassa la chose brillante.

Dans sa main se tenait un prisme (une pierre précieuse peut-être ?) de toutes les couleurs possibles et imaginables. Les reflets de ses multiples facettes étaient teintées du rouge rubis au bleu saphir, en passant par le vert émeraude et le violet améthyste.
Les quatre notes se répétèrent une fois de plus, et une sensation étrange s'empara d'Emma.
Comme si cette pierre était la clé de quelque chose, mais elle ne parvenait pas à déterminer quoi.
La mélodie se répéta, mais sonnait lointaine, comme si la personne qui l'entonnait s'enfonçait dans la forêt.
La jeune fille leva la tête et prit soudain conscience de l'heure tardive. En effet, le soleil commençait à décliner, teintant le ciel de lueurs roses orangées.
Elle décida donc de rentrer chez elle, et d'emporter la pierre afin de faire quelques recherches dessus.

Prenant soin de bien dissimuler la pierre dans la poche de son short, l'adolescente se remit en route, et atteignit bientôt l'orée de la forêt. Elle suivit le chemin de graviers jusqu'au porche d'entrée qui donnait sur la grande cour de sa maison. Elle passa rapidement devant le grand bassin où nageaient quelques carpes koï, et ne s'arrêta que lorsqu'elle fût arrivée à la porte arrière de la cuisine par laquelle elle était sortie plus tôt.

Elle déposa ses baskets poussiéreuses sur le tapis prévu à cet effet et s'avança dans le hall. Elle ne pouvait la voir, mais elle devinait aisément sa mère aux fourneaux, achevant de préparer le repas du soir.
Et, à l'odeur, le menu de ce soir était sans conteste le plat préféré d'Emma, et la spécialité de sa mère: des pâtes à la bolognaise maison.

Elle passa par le salon, tentant d'éviter d'attirer l'attention de sa famille. Peine perdue. Son père, qui jouait avec sa petite sœur Mila, sept ans, et son petit frère Tom, dix ans, à leur jeu de société favori sur la table basse, se leva et lui adressa un sourire en lui demandant:
"- Alors, cette balade ? L'air frais t'as fait du bien ?
- Un bien fou, mentit-elle. Je me sens beaucoup mieux.
- Parfait alors ! Demain, collège !"
Pffff, il ne perdait décidément pas le nord. En fait, Emma se doutait bien qu'au fond de lui, son père savait qu'elle jouait la comédie. Hors, s'il en était convaincu, il n'en laissait rien paraître, ce qui arrangeait bien la jeune fille.
Pour éviter toute autre conversation, elle s'empressa de monter quatre à quatre les marches de l'escalier, puis s'enferma à double tour dans sa chambre.
Vite, elle s'assit sur son siège de bureau, vite, elle fait émerger son ordinateur portable de la montagne de bazar informe qui trône sur le vieux bureau patiné, vite, elle se précipite sur Goomle pour faire ses recherches.

Dans la barre de recherche, l'adolescente tape "pierre précieuse arc-en-ciel" et commence à parcourir les cinquante-quatre mille résultats donnés par Goomle. Malheureusement pour elle, aucun site ne semble traiter de sa découverte.
Une demi-heure de recherche plus tard, elle s'apprêtait à abandonner lorsqu'elle entendit à nouveau la fameuse mélodie, qui semblait vouloir la guider. Un dernier site d'allure plutôt sérieuse attira alors son attention.
Il y était écrit qu'une vielle légende de marins concernait cette pierre.
D'après elle, lorsque la pierre serait trouvée par "l'élue", et exposée à la pleine lune sous un angle précis, la personne serait transportée dans un royaume marin, où l'attendait sa destinée. Aucune précision n'était apportée sur ce fameux destin, ou même le rôle de l'élue dans l'histoire. Une fois de plus, les quatre notes retentirent, comme pour l'encourager à poursuivre.

Un lien en bas de page menait vers un site traitant des sirènes, leurs vies et coutumes en détails. La jeune fille cliqua sur la page, et ce qu'elle y lut la stupéfia.
Il y était écrit qu'à leur majorité, fixée à quinze ans, les sirènes subissent des changement physiques comme des cheveux de tailles ou couleurs différentes. Or, et c'était là le plus étrange, deux jours plus tôt, les cheveux d'Emma, ou tout du moins certaines mèches, s'étaient teints de turquoise. La couleur ne s'enlevait pas, cela n'était donc pas une blague d'un de ses frères et sœurs. Ne sachant que dire à ses parents, elle leur expliqua qu'elle et ses amies s'étaient teints les cheveux lors de la fête de départ d'une amie qui déménageait.
Elle n'aimait vraiment pas mentir, mais les circonstances l'y obligeaient.
D'ordinaire, l'ado ne croyait pas aux légendes, encore moins à celles présentes dans les histoires pleines de rose et de paillettes de sa petite sœur.
Pourtant, et malgré elle, son esprit se forgeait un point de vue réaliste sur ce mythe que sont les sirènes. Surtout après les récents événements.
Elle se leva donc de sa chaise, sortit la pierre de sa poche et s'avança près de la fenêtre de sa chambre.
Comme expliqué dans le conte, elle exposa la face de la pierre de la couleur correspondante à celle de ses mèches, c'est-à-dire la turquoise, aux rayons de la Lune.
Sans bouger, elle attendit une quelconque réaction, et ce qui se produit la cloua sur place.

Elle sentit tout d'abord un léger picotement dans sa main droite, celle qui tenait la pierre. Puis un puissant rayon de lumière lunaire se réfracta sur le prisme pour aller se poser sur le  parquet caramel, et créa une sorte de tourbillon argenté qui s'ouvrait à la jeune fille.
Il exerçait sur elle une force d'attraction telle qu'Emma s'en approchait à petits pas, avec l'envie grandissante d'y plonger pour découvrir ce qu'il cachait derrière ses reflets tourbillonnants.
Un passage magique vers un monde nouveau, vers son destin.
Sans y réfléchir plus avant, l'adolescente fit encore quelques pas, et plongea vers sa destinée.

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