Enfants de l'ombre

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Paris, 17 novembre 1870

Les gouttes d'eau se dispersaient avec finesse sur les pavés tapissant les rues de Paris. Cette pluie soudaine avait brouillé ma vue d'une vision sombre. Je marchais maintenant dans une ruelle sans personne. En un battement d'aile, Paris semblait désertique. Les habitants se recouvraient d'immenses parapluies noirs et se réfugiaient dans l'ombre des demeures, pour disparaître. Tout était devenu calme. Comme si le vent m'avait emmené au-delà de la lumière et du bonheur, j'étais plongé dans un monde d'effroi et de solitude dans lequel tout homme pouvait sombrer sans espérer y trouver une lueur. Ce ne pouvait être qu'une atmosphère angoissante, mais le sourire que je laissais si souvent apparaitre sur mon visage pour y refléter le miroir d'une vie sans scrupule avait soudain disparu. Je me sentais léger, libéré du regard, je me sentais moi-même. Paris est une ville d'apparence. Vous devez montrer le reflet de votre situation, de votre vie. Un homme souriant est un homme heureux, en bonne santé, dans de bonnes conditions. Il est préférable de s'adresser à un Homme souriant que de s'adresser à un Homme triste. L'Homme triste est un homme seul.

L'homme triste ici présent, c'était moi.

La pluie fine, me barrait le passage. Elle m'empêchait d'avancer, me recouvrait progressivement de la tête au pied. Alors je levai la tête vers ce ciel sombre et infini lui priant d'arrêter ce déversement d'eau sur la ville, comme si en prononçant ces quelques paroles, les rayons du soleil viendraient m'effleurer le visage.

Ce fut à ce moment-là.

Je ne saurai comment décrire l'impression étrange que je ressenti soudainement. Comme une présence humaine, un regard posé sur moi. Le silence avait beau régner, je ne me sentais pas seul. Mes yeux parcoururent la rue, les deux côtés de la ruelle. Je me retournai brusquement, d'un geste vif. Et l'expression monotone de mon visage se changea en un air surpris. M'attendant à trouver cette rue semblable à une nature morte, j'aperçus la silhouette d'un être minuscule.

Un enfant.

Habillé de lambeaux, aussi sombres que son corps, aussi sombres que son visage. Il était l'ombre de la lumière, lumière qui désignait ses yeux. Ils étaient profonds, de la clarté d'une eau pure. Tels deux miroirs, ils reflétaient sa vie, sa courte enfance probablement pleine de souffrance et de déchirure. L'enfant s'approcha, me dévisagea. Je lui demandai vivement.

– Allons, où est ta famille ?

Il m'observa sans répondre, gardant la mine froide et neutre. Je regardai ma montre et m'affolant de mon retard me tournai une dernière fois vers l'enfant. Affrontant la pluie, je lui tournai le dos, marchai devant, sans savoir pourtant, qu'il resterait là, ce gamin, à m'observer jusqu'à ce que je disparaisse à l'horizon.

Je poursuivis ma route, sillonnant les rues pavées, ne put m'empêcher de me retourner une fois loin du petit. Il avait finalement disparu.

Peut-être, n'étais-ce qu'un mirage, le fruit de mon imagination. La pluie tombait, gardant le même rythme incessant d'un ostinato sans fin.

Je repris la route, une seconde ruelle à droite, mais m'arrêtai à l'approche d'un second petit être vêtu d'un mince tissu sale aussi sombre que son corps, aussi sombre que son visage.

Une enfant. 

Plus petite que le précèdent, peinant à marcher de ses pieds nus sur les pavés froids. Elle leva la tête et m'observa de ses petits yeux de couleur noisette, à demi-cachés par ses boucles d'or lui tombant sur le front. La petite me tendit la main, semblait, à travers ses pupilles brillantes, me supplier de l'accepter dans la mienne. Je reculai, m'en allai, le menton relevé.

Enfants de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant