Une rencontre sur un quai de métro
Ça faisait déjà trois heures que je me laissais bercer par le métro. Je m'ennuyais tellement que j'en venais presque à regretter de ne pas avoir donné mon vrai numéro au type dans le café la veille. A la place, je restais le dos collé contre une banquette puante avec des gens puants. Parfois je fermais les yeux et les rouvrais au terminus. Entre les deux, je changeais de voisin. Je notais ces détails sans réellement m'en rendre compte.
Je suis sortie de la rame après trois heures et demi d'abandon dans les sous-terrains bondés de Paris et je m'apprêtais à sortir cette fois-ci à l'air libre quand un petit amas de personnes a attiré mon regard. J'ai tourné la tête, soudain intriguée. Oui, six ou sept personnes s'étaient arrêtées pour contempler ce que je croyais être un homme au milieu, à la voix puissante et à la silhouette qui ne cessait de se mouvoir au milieu du sol noir et du carrelage blanc de la station.
– ... quant à celui-ci, il est évident qu'il ne rate jamais sa cible ; mais laissez-moi plutôt vous montrer, après tout, même en magie, rien ne vaut une bonne démonstration, mais cette fois-ci avec une main innocente – je ne voudrais tout de même pas que vous pensiez que mon art est truqué ; en ce cas, prenons un visage au hasard, un visage que je ne connais pas, et qui... oh, Mademoiselle !
Alors, je t'ai vu.
C'était ton regard, la première magie, et elle a tout figé autour de toi, comme une bulle de savon jetée en plein hiver. C'était tes yeux en sortilège et ta bouche en maléfice. Sorcier.
– Mademoiselle, approchez, et choisissez une carte dans le paquet que je vais vous présenter.
Tu semblais virevolter sur le sol, tu tournoyais autour de moi avec un regard si pénétrant qu'un instant j'ai oublié que moi-même j'essayais de jouer un tour au monde entier.
– Choisissez une carte. Celle-ci ?
Mon doigt s'était arrêté sur l'une d'entre elle, au hasard, complètement au hasard.
– Regardez-la, mais surtout, ne la dites à personne. Ce sera un secret, votre secret. La magie vient de naître en vous, juste là.
Tu souris et effleures le tissu de mon manteau, à l'endroit de mon cœur, sans réellement me toucher.
– Maintenant, je veux votre prénom.
– Victoria.
Tes yeux exultent un parfum de triomphe.
– Victoria, j'ai besoin que vous y croyiez, maintenant. Je veux que vous fermiez les yeux, que vous pensiez à votre carte de toutes vos forces, et maintenant, je veux que vous teniez le paquet entre vos paumes – comme ça, oui, exactement, peut-être juste un peu plus comme cela... ainsi, ce sera parfait. Mesdames, messieurs, je viens de rencontrer Victoria, elle a choisi une carte, et cette carte est connue d'elle et d'elle seule. Et maintenant... Maintenant, je vais vous demander de me rendre le paquet.
J'obéis.
Il contemple les cartes une à une, il les observe, il me regarde – tu me regardes. Le monde est grand.
– Oh, Victoria. Je vous ai demandé d'y croire. Croyez-y un peu plus fort, je n'arrive plus à vous entendre.
Tu sais, tu n'as jamais eu conscience de l'impact de tes paroles sur moi à cet instant précis, mais tes mots m'ont percée, et je me suis sentie tomber. J'ai eu l'impression que je pouvais tout dire et garder le silence, que ce n'était pas grave. C'est pas grave. On a le droit de pardonner, de laisser partir. On a le droit d'avancer, et on a le droit de croire. J'ai fermé les yeux et j'ai pensé à ma carte un peu plus fort. J'ai fermé les yeux et je t'ai transmis tout ce que je pouvais. Quand je les ai rouverts, tu tenais entre tes longs doigts le visage hautain de la dame de trèfle.
– Victoria, tu souffles. Qui d'autre qu'une reine pour illustrer ton nom.
Tu souris, fais tournoyer ta main avec la carte entre ton index et ton majeur, t'inclines. Tu prends ma main, tu y déposes ma relique, et tu replies mes doigts sur le papier tiède. Je n'ai pas besoin de te dire que c'était ma carte, tu l'as compris, tu l'as senti, et tu me l'as donnée.
– Je serai demain au théâtre du Rouge, tu ajoutes à la cantonade. Vingt-heures. Laissez-moi vous faire croire à la magie, laissez-moi vous entraîner dans mon monde.
Tu te penches. Tes lèvres effleurent le dos de ma main.
– A demain, belle Victoria. Que ton règne soit digne de tes yeux.
Longtemps je suis restée immobile, fixant le mur, dos au ballet des métros, en serrant la dame de trèfle dans mon poing.
VOUS LISEZ
Dame de Trèfle
Ficção Geral"Aujourd'hui, j'ai quitté la personne avec qui je sortais en lui avouant que je n'arrivais pas à me remettre du suicide de ma meilleure amie dont j'étais secrètement amoureuse. Mais promis, je vais bien." Il m'aura fallu quatre ans pour essayer de...