Chapitre 3

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Sur la pointe des pieds, je traversai le couloir silencieux et préparai mon petit-déjeuner. Une portion de fruits, du lait d'amande et une tranche de brioche : le nécessaire d'apport pour commencer la journée. J'enclenchai la machine à café pour le reste de la famille et ouvris les volets métalliques manuellement, avec une dextérité longuement acquise pour ne faire aucun bruit.

Je m'installai à ma place fétiche, face aux grandes fenêtres du salon. Exposées Est, elles offraient un spectacle de rêve au lever du jour. Lentement, les premiers rayons vinrent effleurer le dôme bleuté qui protégeait Gattaria, inondant la ville encore endormie d'une lumière bienveillante.

Quelques éclats épars entrèrent enfin dans la pièce et se réverbérèrent sur le cadre accroché au mur sur ma gauche. Il renfermait l'un des biens les plus précieux de mon père : un livre hérité de sa mère. À la fois empreint d'une grande valeur sentimentale et vestige d'un temps oublié, cet objet si rudimentaire m'avait fascinée lorsque j'étais enfant.

Ma mère nous en faisait souvent la lecture, amusée de nous voir observer les pages avec tant de scepticisme. Cela faisait des décennies que plus personne ne coupait d'arbres pour produire du papier. Une pratique barbare, selon moi, surtout pour faire un objet si facilement remplaçable. Une tablette pouvait contenir beaucoup de livres sans pour autant abréger la vie d'un arbre.

Patiente, notre mère nous avait raconté qu'autrefois, des pièces entières étaient remplies de livres. De livres de toutes les tailles et abordant tous les sujets. Les gens les lisaient pour s'instruire et s'évader. L'importance qu'ils leur accordaient s'était étiolée au cours des siècles, au profit de la technologie et de ses multiples avancées. Un changement regrettable, qui avait mené la civilisation moderne à sa perte.

Peu de livres avaient traversé le temps, et l'un d'eux reposait là, dans ce cadre installé par Papa pour le préserver. Je me souvenais encore de la voix de ma mère lorsqu'elle nous lisait des passages. Loin d'être un récit, les pages de ce petit livre regorgeaient de citations — un mot somme toute incongru, inscrit en noir sur la couverture verte. Des phrases dites par des illustres inconnus, à une autre époque, dans un autre monde.

Un objet que je jugeais royalement inutile. Il n'apportait rien à notre Cité et foisonnait de phrases cryptiques qui m'avaient plus d'une fois rendue insomniaque.

— Bonjour, Anna.

La voix grave de Papa me fit sursauter. Je le saluai d'un hochement de tête tandis qu'il se servait son café matinal. Une boisson limitée à une tasse par jour pour des raisons de stock et de santé.

Je jetai un dernier regard au livre avant de me lever. Mon père en avait hérité à la mort de ma grand-mère, survenue deux jours avant ma naissance. Un coup dur pour notre famille, puisqu'elle avait perdu la vie suite à un souci cardiaque seulement quelques jours après son soixantième anniversaire.

La politique de la Cité en matière de santé était aussi stricte que dans tous les autres domaines, voire plus. L'Énergie devant être utilisée à bon escient et les ressources étant limitées, les gens arrêtaient de travailler officiellement à l'âge de soixante ans pour laisser leur place aux plus jeunes. C'était également à cet âge qu'ils ne pouvaient plus être soignés de tous leurs maux : des opérations complexes ou trop énergivores leur étaient refusées. Puisqu'ils étaient à la fin de leur vie et qu'ils ne contribuaient plus au bon fonctionnement de la Cité, cette dernière ne pouvait pas se permettre d'avoir beaucoup de personnes âgées à soigner. Le coût en termes d'Énergie et de personnel aurait été trop élevé.

Un choix calculé que beaucoup trouvaient dépourvu d'humanité. J'étais triste de ne jamais avoir eu l'occasion de rencontrer ma grand-mère, toutefois je comprenais les raisons de cette loi.

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