Le chemin tournait jusqu'à longer une longue plage de sable fin. La mer scintillait des milles feux répandus par un Soleil trop aveuglant pour que l'on puisse en distinguer les contours, quoiqu'il semblât anormalement proche et grand. L'homme resserra ses haillons de manteau sur lui. Il avait froid. Le vent s'acharnait à éparpiller les grains de sable, si bien qu'il ne pouvait garder ses yeux qu'entrouverts pour espérer distinguer encore la route. Il la sentait plus qu'il ne la voyait, d'ailleurs, celle-ci étant recouverte par le long tapis qui dessinait la plage.
Il marchait donc péniblement, non pas tant pour lutter contre le vent qu'il avait de face que pour jeter un coup d'oeil de temps en temps pour vérifier qu'il ne s'éloignait de la route, seul repère qu'il voulait garder pour continuer son chemin. Une voix le détacha un instant de sa concentration.
"Non, mais faut pas vous gêner !"
Il se retourna, perplexe, avant de réaliser qu'il y avait là un homme _ à moins que ce ne soit une femme, la différence était difficile à distinguer _ occupé à regrouper tout le sable qu'il avait éparpillé sur son passage. L'individu s'occupait à le réunir en un monticule pour y former des tours, des murailles et des créneaux que les vagues venaient détruire nonchalamment. Puis le même jeu recommençait : tas de sable, tours, vague, tas, tour, vague… Le voyageur finit par se lasser de cette observation qui lui semblait inutile.
"Qu'est-ce que vous faites ?"
L'autre leva la tête, surpris et ennuyé. Surpris car il avait vraisemblablement oublié la présence de l'étranger. Ennuyé d'être ainsi distrait dans son travail. Enfin, il poussa un profond soupir d'agacement.
"Ben quoi ? Ca se voit pas ?
- Un château de sable ?
- Ben si vous aviez compris, pourquoi vous posez la question ?"
L'homme réfléchit que la réplique n'était pas dénuée de bon sens, mais elle ne lui suffit pas.
"Pourquoi vous continuez à construire votre château si les vagues continuent à le détruire ?"
Cette fois-ci, l'individu, visiblement piqué au vif, se redressa de toute sa hauteur, et il atteignait à peine les épaules du voyageur, et déclara d'une voix pleine de dignité.
"Qu'est-ce que vous croyez ? J'ai ma fierté, moi !"
Et il se remit à sa tâche. Le voyageur jeta un oeil plein d'incompréhension à l'individu, haussa les épaules et reprit sa route.