Une plaine

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La nuit était sans Lune, et sur la neige, les étoiles seules répandaient quelque faible lueur. La plaine s'étirait à perte de vue. Aucun foyer ne pouvait attirer à lui les pas d'un quelconque vagabond. A perte de vue ne s'étendait qu'un paysage égal et infini.

Doucement une plainte s'éleva, comme une étrange mélopée, noyant dans ses sanglots le faible murmure du vent.

"Ecoutez-moi, enfants des hommes qui m'avez mené où je suis aujourd'hui. Ecoutez les souffrances de celui que vous avez mené à sa perte. Ecoutez ma complainte que, de par mon errance, je veux chanter à tous et à aucun, pour que vous n'oubliiez jamais ce que vous avez fait de moi.

J'étais semblable à vous. Ni pire, ni meilleur. Ma différence avec vous était infime. D'ailleurs, m'eussiez-vous accueilli auprès de vous que celle-ci aurait disparu d'elle-même, à force d'observation et de mimétisme de ma part. Mais vous ne m'en avez pas laissé le temps.

Ayant grandi, en marge de vous, et vous observant pourtant avec le regret d'un enfant délaissé, je vous ai plusieurs fois appelé à l'aide, à ma manière, tandis que vous constituiez autour de vous des barrières, vous coupant du reste du monde, avec ceux que vous aviez choisis pour mener votre vie. Et vous ne m'avez pas entendu.

Plus tard, encore, tandis que vos barrières étaient brisées par ceux en qui vous aviez le plus confiance, par ceux que vous aviez enfermés avec vous, vous m'avez trouvé à nouveau sur votre chemin. Pour un temps, j'ai vécu à vos yeux, parce que vous aviez besoin de n'importe qui. Puis vous avez dressé de nouvelles barrières en accordant votre confiance en de nouvelles rencontres.

Je n'ai été à vos yeux qu'un visage familier. J'ai été celui à qui l'on pouvait se confier, lorsque tous avaient fui. Parce que l'on peut se confier à une ombre. Qui craint l'impalpable ?

Et aujourd'hui, l'impalpable se veut ombre. Mais pas de ces ombres qui rassurent, parce qu'elles sont la conséquence d'une puissante lumière. Je serai de ces ombres que l'on craint, lorsque la nuit est noire, lorsque les chiens hurlent, lorsque les cris et les sanglots sont la seule musique qui résonne à vos oreilles. Je n'ai été vivant pour vous que lorsque vous aviez besoin de réconfort. Je n'existais plus pour les temps heureux.

Maintenant, l'ombre s'aggrandit. Elle se faufile dans vos cauchemars. Sa voix s'insinue dans vos pensées les plus secrètes. Je suis la colère. Je suis la tristesse. Je suis le sombre remords."

Et tandis que la voix s'éteignait dans le lointain, le murmure du vent soufflait ses doux sanglots.

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