Je courais essoufflée, mon regard vaguant sur les contours du bus 207 vert partant pour le gymnase de Burier. Je diminuai ma course folle pour terminer par des petits pas pressés qui créaient ce bruit si familier des talons aiguilles contre le sol noir des trottoirs enneigés. Je pesai lourdement sur le petit bouton lumineux afin d'ouvrir les portes vitrées. Je déportai mon regard brun sur les places libres. Il n'y a vraiment personne à sept heures vingt. Je m'assis sur une place à deux surélevées et qui me donnait une jolie vue de l'intérieur et de l'extérieur. Il y avait juste un seul endroit que je ne pouvais voir qu'en tournant la tête: l'autre place à deux qu'il prenait quand j'étais ici.
Je déposai mes affaires à côté de moi, ainsi facilement à ma disposition – et surtout, je ne voulais aucune personne à mes côtés – puis je regardai dehors. La neige tombait doucement des nuages qu'on ne voyait pas; il faisait trop nuit. Néanmoins, on pouvait voir une faible lueur derrière les Rochers de Naye toutes aussi blanches que le paysage de Blonay. C'est magnifique !
Le bruit des portes me réveillèrent de ma rêvasserie. Je regardai qui c'était, comme tout le monde l'aurait fait, et je détournai très vite mon regard. Il est là ! Mon dieu ! Toujours aussi mignon !
Mon souffle s'emballait, j'étais tellement heureuse que je voulais rigoler pour libérer cet excès de joie. Mon sourire s'élargissait de plus en plus, même un peu trop alors je le cachai avec mon écharpe beige claire qui se contrastait bien avec mon long manteau rouge et orangé. Je le fixai une deuxième fois. Petit, peut-être une tête de moins que moi, jamais habillé d'un manteau. Sa jacquet noire lui saillait tellement bien. Ainsi que son pantalon. Et ses chaussures.
" Rah mon dieu ! Arrête ma chérie ! " me dis-je rapidement en fermant mes yeux, en rigolant à l'intérieur également. Je les ouvris en entendant des légers froissements de sac. Il n'était plus dans mon champ de vision. J'étais déçue, parce que maintenant il fallait que je tourne la tête pour l'observer.
" Mais, si je le fais, il s'en rendrait un peu compte, non ? Aaah... Je pourrais le regarder à la sortie... "
Tandis que les maisons, les vignes, les voitures de toutes sortes, les arbres, les jardins, les gens et les arrêts de bus défilaient à grande vitesse, j'attendais impatiente le nôtre.Je descendis lentement de mon bus, prenant soin de ne percuter personne. Je pris en premier le passage piéton. J'entendis le crissement des pneus sur la route. Mon sang fit un tour. Chair de poule. Un froid immense prit toutes les sensations de mon corps en un instant. Les phares d'une voiture se rapprochaient de moi au ralenti comme dans un film. J'ouvris la bouche. Pas assez rapidement, apparemment.
" Coma carus et mutisme akinétique. Elle peut tomber au stade quatre: mort cérébrale. "
" Vous ne pouvez rien faire ? "bafouilla une femme en pleur, un mouchoir dans une main humide. Derrière elle, son mari grave, les yeux tirés par la fatigue et les cernes prononcées. " Rentrez, allez voir votre fille " lui répondit-il, comme pour dire : " ce sont ces derniers jours ". Elle pleura de plus belle.
À l'intérieur de la salle blanche, le bip-bip des machines était le seul son qui "animait" la chambre de la jeune fille. La mère, le visage déconfit, s'approcha de sa fille au corps entièrement bandé, allongée sur le lit immaculé de la lumière du soleil cachée par les nuages gris de neige. " Ma fille..." Elle lui caressa le visage, dont le front était l'unique bandé au niveau de la tête, doucement, puis plus fortement pour se donner encore un espoir qu'elle vivait. Celle-ci, comme avait dit le docteur, ne bougeait pas au contact et ses yeux étaient ouverts mais ne frémissaient pas. Ils étaient juste ouverts.Le temps était au ralenti pour ceux qui avaient vu l'accident. Les mêmes scènes se répétaient toujours, différentes selon leur point de vue, mais pareilles lors du choc. Le corps giclé quelques mètre plus loin sur la route, le sang tachant le joli manteau qu'elle portait, les yeux ouverts, la bouche aussi d'où un mince filet de bave et de sang coulait. La voiture était arrêtée. Sa lumière était d'un beau rouge qu'on ne voit pas couramment sur la neige devenue grise par la pollution. Eux, les témoins, avaient des gouttes de son sang sur le visage et les habits.
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le Jour de l'Amour
KurzgeschichtenJe descendis lentement de mon bus, prenant soin de ne percuter personne. Je pris en premier le passage piéton. J'entendis le crissement des pneus sur la route. Mon sang fit un tour. Chair de poule. Un froid immense prit toutes les sensations de mon...