Blancheur brunâtre

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Il ne pleuvait pas, le soleil était là-haut dans le ciel.

On entendait le raclement de quelque chose contre la terre. Une personne essoufflée se frottait le front contre sa chemise salie par la poussière brune du sol. Ses cheveux blonds tombaient sur le côté, retenus par une queue de cheval à demi-défaite. Elle mit une de ses mains en casquette et regarda le soleil en fronçant les yeux. Elle souffla et se remit au travail.

Un cercueil tomba doucement dans le trou. Des fleurs blanches furent jetées sur le bois et de la terre humide les recouvrit. Des larmes coulaient sur les joues des personnes environnantes.

Juste à côté du cimetière, l'hôpital se tenait là, immobile, froid et blanc.

Les bipes des machines résonnaient dehors grâce aux fenêtres ouvertes.

Aujourd'hui, c'est le vingt-et-un février.

On ouvrit une porte dans le couloir blanc du grand bâtiment. Un infirmier tira un brancard sur lequel un corps était allongé et caché par un drap fondu dans les murs pâles. Des personnes en blouse blanche s'affairaient dans l'ancienne chambre de la morte.

Avec des pas pesants, le jeune homme en tenue bleue poussa l'objet à roulette vers une autre salle, en prenant un ascenseur et en marchant lentement afin d'éviter les patients qui se promenaient sans raison dans l'hôpital.

Il souffla. Plusieurs fois. Il n'aimait pas son travail, mais avait quand même un bon revenu. Il regarda le corps caché, en sachant bien que c'était une fille de seize ans, et s'imagina la caresser, puis la chatouiller plus bas. Il se frotta les cheveux pour reprendre contenance ; si les patients le voyaient comme ça ou les infirmières, il perdrait son job.

Il tourna à gauche. Un sas s'ouvrit à l'approche du brancard à roulette et se referma lorsque l'infirmier passa lui aussi. Le corridor était teinté par un joli rose violet dont le sol paraissait jaune comme un canari. À sa droite, des gens attendaient sur des chaises bleues foncées collées sur le mur. Il passa à côté d'eux indifférent, il ne dit qu'un bonjour misérable, sans les regarder une seule fois.

Plus loin, il entra dans une grande salle dans laquelle quatre hommes en costume de deuil attendaient. Un des quatre reprit le brancard et le dirigea vers un table métallique.

-      Vous pouvez partir maintenant.

L'infirmier aurait bien voulu rester encore un petit moment afin de voir le corps de la jeune fille. Pour bien rêver le soir. Malheureusement, l'homme chauve, qui lui avait ordonné de partir, n'était pas d'accord et le montrait bien par son regard.

L'infirmier haussa des épaules, puis sortit de la chambre, tandis que les quatre hommes se tenaient penchés sur la jeune adolescente.

Ils la maquillaient d'un rose pâle aux joues. Sur ses paupières, ils appliquaient une couleur auburn dans un dégradé beige qui se faisait de plus en plus clair. Deux hommes soulevèrent son corps et la tinrent droite. Aidé par un autre, l'homme chauve poursuivit le rituel en mettant une culotte et un soutien-gorge blancs comme l'immeuble soignant. Enfin, ils mirent sa robe de promotion d'étude à l'école obligatoire ; en coton et polyester, bleue comme une nuit débutante, elle lui saillait bien.

Pour finir, ils la déposèrent dans le cercueil en bois, recouvert à l'intérieur d'une soie délicate olivâtre. Avec la morte, les quatre hommes placèrent sur les côtés libres, différents objets, notamment tous ses jeux DS de Pokémon, quelques doudous qu'elle appréciait, un objet de la sœur de son grand-père et une montre à gousset dont la trotteuse décrivait encore de grands cercles.

Dehors, quelque part dans une forêt, quelqu'un creusait un trou profond. C'était la même personne qui avait creusé le fossé pour le premier cercueil. Elle s'épongea le front avec une serviette grise et se remit au travail.

Plus tard, alors qu'elle fumait une cigarette, plusieurs voitures s'arrêtèrent à l'orée de la forêt. Quelques gens descendirent peu à peu suivis des autres comme s'ils ne voulaient pas que ce fut réel. Ils firent craquer les branches. Une ou deux personnes s'entremêlaient dans les racines souples des arbres, en menaçant de tomber. Mais d'autres les rattrapèrent vite, puis les aidèrent, pour ensuite les consolaient devant le trou vide qui désirait prendre en son sein le coffre en bois. Celui-ci arrivait doucement, portés par les quatre hommes qui avaient habillé l'adolescente aux cheveux courts.
Une femme porta à son visage un mouchoir en papier et pleura avant même le début de la cérémonie.

- Giha... ma fille... Uhuuu...

Sa bouche décrivait une forme de désespoir.

Pendant de longues heures presque interminables, la petite famille et les camarades de classe, les amis également, chantaient, priaient en pleurant au milieu de la gigantesque forêt brune. Par-ci, par-là, une fine couche de neige tombait des arbres sur les herbes folles, enveloppant de même les feuilles mortes qui se décomposaient par le temps. Aucun bruit ne perturbait le rituel d'adieu.

Des branches d'arbres craquèrent, tandis que le petit groupe en noir remontait vers les voitures. Pas un seul ne se retourna pendant que la fossoyeuse déposait lourdement la pierre tombale blanche sur la terre brunâtre. Celle-ci, son travail fait, s'inclina devant la tombe et partit elle aussi en direction de sa voiture, laissant seule la morte à la terre et aux arbres dominants.

Plus personne ne revint la voir.

Ah non.

Les feuilles pendues aux arbres, frémissaient à la brise. Les petits lapins gambadaient et s'enfuyaient au son des pas d'un jeune garçon de dix-sept ans. Dans ses mains, il tenait un bouquet d'ancolies hybrides et bleues. Au milieu, une branche de cyprès s'oubliait dans ces couleurs vivaces . Il le déposa sur la tombe sur lequel le nom de Giha était gravé.

-       Salut Giha, c'est encore une belle journée aujourd'hui.

Il caressa du bout de ses doigts la pierre tombale, puis s'imagina son amour l'entourant. Il posa sa main sur un bras imaginaire et regarda le ciel en souriant.

le Jour de l'AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant