Battle Royale : Mischief

1. Prologue (Part 1)

PDV : Chihiro

« Page 84, déterminez les limites de ƒ en -∞. »

Avachi sur la table, j'appuie la pointe du critérium sur ma feuille.
Même en y réfléchissant, on dirait une autre langue. Mathématicien est-il vraiment un métier ? Ça doit forcément être un surnom, ces types sont des sorciers.
Ah, la mine s'est cassée...
Combien mesure une mine ? Je serais plus apte à calculer sa taille et sa durée de vie que d'écouter le cours.

En relevant les yeux, j'aperçois la silhouette quotidienne bouger ses mains, laissant sortir de sa bouche des banalités d'une voix monotone.
Heureusement que mon casque étouffe ses dires.
Vivement les vacances.

En jetant un coup d'œil au reste de la salle, personne n'a vraiment l'air d'être attentif :

À gauche, de dos, les cheveux d'un rose intense d'Osanu attirent directement l'attention. Elle pouffe avec sa voisine, Shizu. Les yeux océan d'Asuna me croisent furtivement en un sourire ; elle est assise devant ses amies, mais s'est retournée face à elles en penchant dangereusement sa chaise.

À côté, une masse brune s'écrase de tout son poids... Mili, je présume ? Il dort ou il est mort ?

Devant moi, la touffe de neige de Mizuna chantonne à voix basse. Hiro, quant à lui, sirote son Pepsi silencieusement sans prendre la peine de cacher la cannette.

Je me tourne pour apercevoir les paires noires de Neko tordus par une petite grimace, fixant de près ses doigts en appliquant son vernis favori. Sa concentration la rend mignonne, elle ne m'a même pas remarqué.

À droite de la classe, tout au fond, je dénote les cheveux noisettes en pétard de Shiri, cachant sa Switch sous le pupitre. Il a la tête de quelqu'un qui a joué à Fire Emblem toute la nuit.

Placé avec lui, Kio se force à ne pas pleurer de rire avec ses petits yeux châtains. Intrigué, je me penche pour découvrir que lui aussi cache son téléphone. Il lance un regard furtif à Shiri pour lui montrer quelque chose. Ce dernier lui rend son air amusé.

Les deux sièges d'en face sont vides. De mémoire, il me semble qu'ils appartiennent à Amalya et Toshi, mais ils doivent sûrement sécher.

Devant, les pupilles chocolat de Léa fixent son carnet, feutre fin à la main. Elle dessine sagement des croquis.

Seuls Lukas, Jared, Mujo, Ellie et Koku restent aux aguets et suivent le discours barbant. Enfin, d'une oreille, du moins. Je ne suis pas sûr de s'ils écoutent réellement ou s'ils prétendent de le faire.

Pensif, mon esprit dérive sur ce que je cuisinerai pour le dîner, quand je remarque Asun secouant l'épaule de Mili d'un air inquiet. Je décide d'enlever mon casque.

« Mili, je le répète, donnez-moi la variante de cette équation !

Le ton est sec et rude, aucune merci ne s'y décerne. Mili, en sursaut, dévisage la scène de ses paupières lourdes et gigote en paniquant.

- Uh... Je, um... »

Les potins de derrière ont cessé, un blanc pesant emplit l'atmosphère tandis que nous rangeons nos affaires. Les larmes aux yeux, le pauvre s'apprête à s'excuser mais se fait couper par la sonnerie.
Sauvé par le gong.

Tout le monde se lève et part plus ou moins rapidement, formant un amas bloquant la porte. Hiro bouscule le professeur, Osa lui marche sur le pied.

Je tends poliment la main à notre supérieur, quitte à être le dernier à sortir. Je les rattraperai. Mais celui-ci la refuse sèchement en se relevant, rigide comme du plomb. Il époussette sa veste d'un geste brut.
Je hausse les épaules, tourne les talons et part sans un mot.

M. Takahashi est un homme bien formé, mais petit, environ un mètre soixante-dix. Quarante-trois ans. Un début de barbe fraîchement rasé, du gel dans ses cheveux noirs dont les premiers fils d'argent commencent par apparaître, il a tout d'un profil droit et strict.
Pourtant, il n'a pas toujours été comme ça...

C'est notre troisième année passée avec lui. Eh oui, tout le lycée.
Il souriait beaucoup, le genre de sourires que l'on retrouve chez des enfants quand ils reçoivent du gâteau en dessert. Il nous aidait. Il était présent. Parfois, à la fin de la journée, ils nous racontaient des anecdotes personnelles liées au cours. On aurait dit des sketchs ! C'était drôle.

C'était. Il a divorcé depuis. Les rumeurs disent qu'il a fait preuve d'agressions infantiles, d'adultère, peu importe. Il s'est mis à boire. Beaucoup. On le sait parce que pendant une période, il revenait en titubant de sa pause déjeuner.

Ce lien de confiance établi entre lui et ses élèves s'est brisé petit à petit, laissant place à une barrière. Nos espoirs se sont envolés comme la motivation qu'il nous donnait.
Une lourde vérité s'avachait sur la classe B de Shiroiwa, le sentiment que même s'il semblait ouvert à nous, on ne connaissait rien de cette personne.

Bref.
J'avais même pas remarqué que Neko me parlait...
Gêné, je lui demande de répéter.

« Ouais je sais, c'est pas facile à croire. On part en voyage scolaire lundi prochain ! Preuve que Takahashi pense toujours à nous, au fond.
- Uh, c'est assez brusque comme décision...? Qui t'a dit ça ?
- Le directeur lui-même l'a annoncé sur le site du lycée.
- C'est chelou, je me méfie. »

Pas net tout ça... Neko repart devant, blasée, rejoindre le groupe.

Bah, on verra bien lundi.