Chapitre 5 : Curiosité

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D'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, Livaï n'avait jamais connu de nuit parfaitement paisible, sans interruption, d'une durée décente, dans des conditions "normales".

Bien sûr, il n'avait pas toujours dormi que deux à trois heures par nuit en étant assis sur une simple et inconfortable chaise.

Non.

Le changement avait été progressif, s'effectuant sur plusieurs années, suite à plusieurs événements...

Alors qu'il n'était encore qu'un petit enfant, blotti dans les bras de sa mère dans leur étroit petit lit, ses nuits étaient régulièrement perturbées par les cris de plaisir ou de douleur des prostituées ainsi que les cris et grognements des hommes venant satisfaire un besoin primaire. " N'y fais pas attention, rendors-toi. Je suis là. " Lui murmurait Kuchel avec douceur en lui caressant tendrement les cheveux et resserrant son étreinte. Et il l'écoutait, se rendormant jusqu'au prochain cri un peu trop fort.

D'interminables longues heures après que sa mère ai expiré son dernier souffle, il alla se recroqueviller sur le sol froid et sale dans un coin, il ferma ses petits yeux emplis de fatigue et de tristesse tentant de dormir pour espérer se réveiller de ce cauchemar, d'oublier que sa mère pourtant juste devant lui n'était plus vraiment là. Mais au fil des jours, il était devenu difficile de faire abstraction de la vision devant lui et de l'odeur de la lente putréfaction se répandant dans la minuscule pièce leur faisant office de lieu de vie. Et quand il rouvrait les yeux rien n'avait changé, sa mère était toujours alitée, froide, rigide et sans vie dans leur lit juste en face de lui. Depuis, profondément marqué par cet événement, il refusa de dormir dans un lit.

Des jours après le décès de sa mère, un étrange homme fit son entrée, se présentant comme étant Kenny, juste Kenny. Ce dernier prit le petit garçon sous son aile, peut-être parce qu'il avait pitié de lui ou fut pendant un temps "proche" de Kuchel, il n'a jamais expliqué ses motivations, ce n'était pas un homme de mots de toute façon. Kenny attaquait régulièrement Livaï dans son sommeil. Cela faisait partit de l'un de ses durs enseignements : " Toujours être sur tes gardes. Ne jamais te sentir en sécurité car ce monde ne l'est pas, à aucun endroit ni aucun moment. Anticipes toujours le pire comme ça quoi qu'il arrive tu seras toujours prêt à y faire face. " À partir de là, Livaï commença à dormir sur une chaise contre le mur en face de l'entrée. Prêt pour toute menace. Et si jamais il commençait à s'endormir trop profondément, perdre un peu l'équilibre sur sa chaise lui donnait l'impression d'être en chute libre et le réveillait instantanément. Rien ni personne pas même Kenny ne put désormais le surprendre dans son sommeil.

Quand Kenny l'eut abandonné et même des années après, même après sa rencontre avec Farlan puis quelques années plus tard celle d'Isabel, le corps et l'esprit de Livaï avaient gardés les réflexes instinctifs de l'enseignement de son ancien mentor. Il ne dormait que d'un œil pendant que son esprit vagabondait parfois dans ses souvenirs, la lente déperdition de sa mère, l'abandon de Kenny, toutes les choses qu'il a dû faire pour se nourrir, tous les gens qu'il a dû battre violemment, poignarder ou même tuer pour survivre.

Très peu de temps après avoir intégré le Bataillon d'exploration, Livaï perdit ses deux précieux amis : Farlan et Isabel dans d'horribles circonstances lors de leur première expédition extra-muros. L'image de la mort de Farlan et celle de la tête horrifiée et décapitée d'Isabel prirent place dans ses yeux malgré ses rétines closes, rejoignant l'image du cadavre d'une femme aimée se décomposant petit à petit dans son propre lit.

Petit à petit, Livaï perdit l'habitude d'avoir obligatoirement un mur dans son dos et l'entrée en face (ne craignant plus vraiment la menace des autres et de son environnement) il garda malgré tout l'habitude de rester sur ses gardes et également son aversion pour dormir dans un lit.
Au fil des jours, des mois puis des années, les macabres souvenirs de camarades se faisant dévorer vivants prirent une place régulière dans son sommeil, se fondant et se côtoyant avec ceux de la mort de sa mère, Farlan et Isabel.

Ackerbond : A Rivamika StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant