Prologue

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Les rues de cette ville sont sales. Aussi sales que l'eau qui s'évacue des toilettes, aussi sales que les crachats qui gisent sur le trottoir.

En plus d'être répugnante, elle n'a pas le mérite d'être intéressante. Il n'y a pas trente-six endroits, ni même plus de dix en comptant bien, où aller.
Dans les quelques bars, des ivrognes se bourrent la gueule en pensant à leurs vies ratées, tandis que dans les rares boutiques, des bonnes femmes un peu trop bavardes vous arnaquent avec un grand sourire.
Il n'y a qu'une école primaire et maternelle délabrée fréquentée par tous les gamins débiles des environs. Durant les vacances d'été, elle devient un endroit digne d'un film d'horreur. Les vitres prennent vie, se mouvent pour vous attraper par les chevilles et vous clouer sur le sol à l'aide de morceaux de verre. Le sang gicle en imaginant la scène et je fais une grimace de dégoût.

Cet amas de pavillon mixé aux tours est nulle, tellement que ça me fait peur. Atteindre cet état de médiocrité dans la vie, c'est affolant. Ça me dépasse et me fascine en même temps. Le maire ne doit pas en penser que du bien parce qu'avec sa femme, ils habitent reclus dans leur vieille maison en pierre, loin du centre et de ses habitants. Il semble nous détester. J'y pense tant que je me demande s'il est heureux d'être le représentant de cet endroit. N'en a-t-il pas honte ?

Je me dirige vers le centre-ville. Le chewing-gum à la fraise que je mâche depuis plus d'une heure me saoule un peu. Je me maudis intérieurement, j'ai oublié mes cigarettes à la maison. Le coca cherry de l'épicerie me déchire le palais tant les bulles sont grosses.
Alix m'attend devant un de ces bars miteux qui ne contient presque rien à part des petits vieux qui feraient mieux de mourir pour libérer leurs viagers. De temps en temps, on les entend parler du passé, de comment tout était mieux : les gens, l'immigration, la politique, les femmes, les jeunes, ça n'en finit pas. Comme si mourir d'un rhume parce que la médecine n'est pas assez avancée ou ne pas avoir de droits décents étaient des choses funs.

Je tape dans les mains de ma copine, elle est collée contre un mur crasseux et se redresse pour me saluer.

On commence à marcher vers la zone résidentielle, là où j'habite, sans un bruit. Les scooters pétaradants me font lever la tête à chacun de leurs passages. Le silence, plus bruyant encore que les rumeurs environnantes, me gêne. Je sais que c'est une des dernières fois que je verrais Alix et pourtant, je n'arrive pas à lui parler comme si, lorsque les mots sortiront de ma bouche, un truc se cassera.

- Ma grand-mère est morte, je lui annonce pourtant.
- Ah merde, toutes mes condoléances.

Le malaise tombe un peu, mais le silence demeure, chargé maintenant de question de la part d'Alix. Elle tourne la tête et me regarde. Un air interrogateur prend place sur son visage en me voyant avec un rictus.

- T'inquiète, je l'aimais pas, une pauvre raciste qui pouvait pas me voir en photo. Je te jure, elle était ignoble quand elle me voyait. Toujours à déverser sa haine envers ma mère, même quand j'étais là, surtout quand j'étais là.

Elle acquiesce à chacune de mes paroles en faisant une moue légèrement choquée.

- Mon père est dévasté, c'est bien fait, c'est le karma, je peux te l'assurer ; je termine.

Je balance mon index devant elle comme si je venais de dire une vérité irréfutable. Elle finit par éclater de rire devant ma mine ravie.
Je ne peux pas mentir, la mort de cette vieille dame, c'est presque une bonne nouvelle.
Le décès d'une personne qu'on n'aime pas est toujours un moment bizarre. La première fois, ç'avait été mon grand-père. J'avais un peu pleuré, parce que tout le monde pleurait en priant, dans l'église. Je n'avais pas conscience que ce qu'il me disait la plupart du temps était en réalité un vomi de racisme et de misogynie.

La rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant