. N°2 .

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Le tintement strident de la cloche de cuivre résonna dans l'espace étriqué qu'était ce vieux bâtiment en écho au coucou qui venait de sonner midi. La devanture loin d'être charmeuse avait attiré l'œil du seul client qu'aurait sûrement notre vieillard aujourd'hui. Bien que sa clientèle se faisait rare, voire inexistante, il n'en faisait rien pour la garder; sa boutique ressemblait à un bazars, une brocante bien garnie étalée sur plusieurs mètres de long que l'on avait dû ranger à la hâte dans un quinze mètres carrés. Des bricoles s'entassaient sur les murs qui semblaient pliés sous le poids colossal qui reposait sur eux. Des casseroles en cuivres, vieux bouquins aux pages jaunies et dévorés par les mites à terre, substances ragoutantes enfermées dans un bocal sur l'étagère du fond, un animal non-identifié empaillé à côté de l'entrée, tout espace était comblé par diverses antiquités soit cassées en mauvaise état ou tellement poussiéreuses que l'on ne distinguait même pas la couleur de celle-ci.

C'était à se questionner si ce drôle de bonhomme avait un problème de vue, généralement les personnes pourvues d'un minimum de jugeote s'éloignaient derechef rien qu'à la vue de la façade maussade et terne, craquelée de tout les côtés et paraissant si fragile que les gens n'osaient l'approcher à moins de cinq mètres dans la rue. Rajoutant à cette vision visiblement obstruée si ce n'était pas inexistante, ses sens olfactifs semblaient tout aussi défectueux. Pas la moindre grimace n'avait recouvert, ne serait que quelques instant, son visage lorsque les effluves putrides avaient fouetté ses narines. L'humidité ambiante se couplait à l'hygiène approximative de l'endroit et la chaleur étouffante du mois de juillet pour produire un mélange de senteur jusqu'alors inédite.

Si vie il y avait eu autour de lui, il l'aurait sûrement traité de fou à fermer ses paupières et même renifler avec plus de ferveur l'air ambiant. Oui, cet homme n'avait définitivement pas le sens de l'odorat fonctionnel.

Ses chaussures bien cirées se frayèrent un chemin sur le parquet grinçant. Ses yeux parcouraient doucement, effleurant chaque objets avec un intérêt et une curiosité non cachée, toutes ses étrangetés aux couleurs qui furent sûrement vive à une autre époque, il n'avait eu l'occasion de les voir qu'ici, à cet instant et il en profitait grandement. S'il venait à un endroit, il n'y revenait jamais. Il avait donc apprit à apprécier chaque chose à sa juste valeur, imprimant chaque trait et chaque courbe des instrument en bois qui reposaient sur ses étagères afin d'être sûr de faire honneur à cette boutique unique.

Son doigt caressa si ce n'était pas frôler la couverture crouteuse d'un vieil ouvrage, celui-ci il en était sûr il l'avait déjà aperçu lors de l'une de ses dernières visites.

Ses pas le menèrent enfin au comptoir de la pièce. A l'image du désordre attenant, ce dernier était enseveli sous un amoncellement de papier jaunies, lettres et chiffres frappés à l'encre d'une machine à écrire ainsi que signature tremblantes à la main qui retraçaient les récents revenu du gérant du magasin.

Sa large silhouette observait d'un air passif l'étranger depuis son entrée. Affaissé si ce n'était pas soudé sur son fauteuil en velours, le vieil homme avait reposé son menton caché derrière une barbe broussailleuse sur sa grande paluche. Ses yeux ne s'écarquillèrent même pas à la vue de son client, enfin s'il pouvait encore l'appeler ainsi.

Le vert translucide de son teint trahissait sa fatigue évidente, justifié par les larges cernes maquillant son teint blafard. Il était fatigué, de ne plus dormir ça il n'en avait cure, mais tout simplement de vivre. Cette routine fatigante, le temps était passé beaucoup trop vite rouillant chacune de ses articulations au point de le clouer sur ce fichu meuble. Des mois qu'il n'avait vu la lumière du jour qu'à travers les vitrines poisseuses de sa boutique et des semaines que ses lèvres gercées ne s'étaient décalées, que ce soit pour parler, boire ou manger. Il se laissait mourir à petit feu en attendant sa dernière heure.

Il renifla dédaigneusement sous le regard blanc perçant du jeune homme souriant. Il tenta désespérément de lui rendre sans grande envie. Les orbes blanches de l'étranger jetèrent un dernier coup d'œil à sa montre pour s'assurer que les deux aiguilles s'étaient bien rejointes, de toute façon cet homme était au bout de rouleau et le voile qui flottait devant ses yeux lui hurlait qu'il n'attendait que cela.

D'un pas léger, presque imperceptible, il s'avança lançant un sourire éclatant à la silhouette en face de lui :

- Il est temps Monsieur, énonça t-il clairement.

Cette phrase, la délivrance tout attendu, le cadeau inespéré. Les muscles du vieillard se détendirent, s'installant confortablement dans son vieux fauteuil. Il inspira une bouffée d'air et laissa apparaître un sourire sincère sur son visage marqué par le temps.

Ce qu'il pouvait aimé son métier, le jeune homme adorait ce moment précis, celui du soulagement pur et simple qu'il apportait par une simple phrase. Il pouvait voir ce que peu de gens avait l'occasion de voir, la folie des derniers instants, tout ce qu'un être avait pu réprimé de faire tout au long de sa vie, de pouvoir enfin le faire, se fichant du lendemain puisqu'il n'y en avait pas. Définitivement, la Mort se complaisait dans son rôle et la vue du vieillard en face de lui qui se laissait doucement couler le long de velours rouge, tout ce qu'il n'avait pas pu faire durant sa longue vie de labeur interminable, il se reposait enfin et ce pour toujours.

La cloche de cuivre tinta une deuxième fois, la Mort jeta un dernier coup d'œil à la boutique d'antiquité qui l'avait tant intrigué avant de guider l'âme du vieil homme à présent jeune mort vers une éternité de tranquillité.

Oh oui, ce qu'elle pouvait aimer son métier.

~.o.~

( Note à moi-même que je vous laisse parce qu'elle m'a fait rire :

Pas mal, encore une fois je suis partie loin, et ce jeune homme, qui n'était déjà pas sensé exister, s'est métamorphosé en la Mort elle-même. Je m'impressionne des fois c'est incroyable. )

Recueil d'OSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant