III - Oublie les étoiles

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 Un an après, ce n'était pas revenu. Sally l'infirmière et la chambre blanche n'étaient que des souvenirs à moitié effacés. Mais des souvenirs quand même. Jack avait su tout ce qui lui était arrivé, il avait vu sa famille, ses amis, des gens qu'il était censé apprécier. Il n'avait rien ressenti. On lui avait dit qu'il s'appelait Oscar, mais il avait refusé cette identité et s'en était crée une toute nouvelle.

Il s'appelait Jack. Il vivait quelque part loin de la ville agitée. Seul. Mais consistant. Il était devenu un nouveau tout, avec une personnalité et une vie. Brisée. Mais une vie.

Cette vie-là commençait dans la neige, le sang et la tempête.

Il savait pourquoi, ce soir-là, il avait une balle dans l'épaule. On lui avait conté l'histoire mais il avait cru entendre celle de quelqu'un d'autre. Ça ne lui était jamais arrivé. Ce n'était pas lui.

Et après, il avait disparu, loin des médias et des gens qui prétendaient le connaître. Il rebâtissait quelque chose. C'était confus. Mais ça existait. Il croyait que comme ça, il serait heureux, mis ce n'était pas le cas. Il espéré, mais cet espoir mourait dans son esprit à mesure que les jours avançaient. Il se sentait mieux que dans la ville, mais il ne se sentirais jamais bien. Jamais il ne serait un vrai tout, parce que lui était à moitié fonctionnel. Il lui manquait une vingtaine d'années de sa vie. Vingt ans qu'il ne retrouverait jamais.

Il se sentait vide.

Une nuit, Jack fut réveillé par un cri dans la forêt. Il ouvrit les yeux sur le marmonnement indistinct de la télévision restée allumée, qu'il éteignit machinalement. Il secoua sa tignasse brune, rajusta sa chemise froissée et alla ouvrir.

Cette fois, la nuit était vraiment belle. Comme toute les nuits dans la campagne. Le ciel était nuageux, crachant un vent gelé et quelques timides gouttes de pluie. Mais les étoiles scintillaient par gros amas lumineux, chatoyants dans les cieux noirs et silencieux. Moins qu'en été, pour sûr, mais assez pour faire sourire Jack.

Puis il entendit un coup de feu, dans l'obscurité de la pinède. Des appels à l'aide, encore. Jack empoigna sa veste et jeta un regard à l'heure. Six heures du matin. Le coup de feu ne l'avait même pas effleuré d'un brun de peur.

« Si je meurt, qui s'en souciera vraiment ? » Se demanda t'il, plus stimulé par l'idée d'aider que de clamser.

Il courut alors, s'enfonçant dans la noirceur des bois, pas tout à fais rien mais pas grand-chose non plus. Et à travers les frondes de fougères, il se sentait libre, des capitules plein les cheveux. Il ne voyait pratiquement rien, la maigre lampe de son téléphone braquée devant lui éclairait faiblement des aiguilles de pins.

Il faisait froid.

Jack grelottait aussi bien qu'il cavalait entre les arbres. Ou peut-être qu'il tremblait d'excitation. Ou de peur. Il n'en savait rien. Il n'était pas encore bien habitué aux sensations que créaient ses émotions. Il ne savait rien de ces fourmillements de son être.

Il les ressentait trop fort, trop grand.

Il faillit s'évanouir en se prenant une vague de surprise dans la tête. Brutale, la surprise, pensa t'il. Il resta figé, glacé par la douleur dans ses membres tendus à l'extrême.

Il y avait une fille qui gisait par terre, inerte à la manière d'une poupée, la poitrine couverte d'un sang noir, pullulant, gargouillant de milliers de coquelicots meurtriers qui avaient éclos.

Jack, luttant pour sortir de sa torpeur, finit par tituber et tomber par terre, haletant et gelé. Ce qui était contradictoire. Il ne savait plus ce que son corps faisait. Il était plus impressionné par sa réaction que par la fille blessée. Il glapit.

Il s'approcha, et vérifia qu'elle respirait encore. C'était le cas. Il soupira, concentré dans une réflexion. Jack était trop vide pour laisser place à ses émotions tout le temps. Il était méthodique. Implacable. Toujours calme. Toujours frappé de biais par ses émotions, mais il s'adaptait.

Il resta agenouillé un moment devant la fille. Elle était étendue, comme une proie tuée et laissée en plan par un prédateur effrayé. Du sang coulait encore de sa plaie. Elle était aussi impuissante qu'il l'était.

Et puis elle ouvrit les yeux. Elle hoqueta, cracha du sang, gémit et laissa échapper un sanglot étranglé. Ses yeux étaient noirs. Comme la forêt. Chatoyante dans sa noirceur, cachant des reflets dorés et argentés, ceux des premières lueurs du jour.

— J-jack ? Balbutia t'elle.

Il mit un peu de temps à la reconnaître. C'était Sally. Mais il ne répondit pas. Elle avait l'air paniquée. Il ne savait pas réconforter les gens. Il n'était même pas curieux de savoir ce qui lui était arrivé. Elle appela son nom à plusieurs reprises. Elle cracha du sang noir, celui qui sort des blessures dont on ne se remet pas.

Et il la laissa mourir à coté de lui. Mais il prit sa main et la serra très fort tout le long.  

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